« Pensons-nous réellement à concevoir les programmes d’une manière anti-oppressive? Est-ce que nous envisageons le contenu? »
Le Dr Kofi Belfon est un psychologue clinicien et travaille avec les enfants, les adolescents et les familles. Il est le directeur clinique adjoint de Kinark Child and Family Services, a un cabinet privé appelé Belfon Psychological Services, est membre du conseil d’administration d’Esprits Sains Enfants Sains (anciennement la Fondation de psychologie du Canada) et siège au comité sur l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) de l’Ordre des psychologues de l’Ontario. Orateur pondéré, il réfléchit attentivement avant de répondre aux questions que je lui pose. Le thème de la « réflexion » revient assez souvent pendant notre conversation.
Né à Sainte-Lucie, le Dr Belfon a immigré au Canada lorsqu’il avait à peu près cinq ans. Sa famille a déménagé dans les Caraïbes lorsqu’il avait environ 15 ans, et il est resté chez des amis de la famille pour terminer ses études secondaires au Canada. Ses parents accordaient beaucoup d’importance à l’instruction et l’ont encouragé à aller à l’université. Son frère est médecin et il a d’abord étudié à l’Université McMaster pour faire ses études de premier cycle en vue de suivre les traces de son frère et de devenir médecin. Mais très vite, il découvre que non seulement il réussit très bien dans ses cours de psychologie, mais qu’il les aime vraiment. Une nouvelle voie professionnelle s’ouvrait.
Après son baccalauréat, le Dr Belfon a travaillé dans une usine de peinture. Pendant ce temps, il a passé son test GRE (Graduate Records Examination – un test général normalisé visant à mesurer les capacités scolaires des diplômés) et il a fait des demandes d’admission auprès de programmes d’études supérieures en psychologie. Ce qu’il n’a pas fait, et qui a peut-être joué un rôle déterminant, c’est passer le test GRE évaluant les aptitudes en psychologie. Toutes les écoles d’études supérieures ont refusé sa demande, sauf une.
« Le seul endroit où j’ai été accepté est l’Université de Guelph. Le Dr Michael Grand a été un superviseur vraiment formidable qui m’a soutenu et encouragé. Mais j’ai toujours eu le syndrome de l’imposteur, doutant constamment de moi. “Je n’ai été accepté nulle part ailleurs, pourquoi ai-je été accepté ici, est-ce qu’ils essaient tout simplement de remplir un quota? Est-ce que j’ai été admis parce que je suis un Noir et un homme, et qu’ils veulent accroître la diversité au sein de leur programme?” Je manquais de confiance et mes doutes sur moi-même ont perduré longtemps. Nous n’étions qu’une petite cohorte, de cinq ou six personnes à peine, et j’étais le seul à ne pas avoir de bourse. J’ai fait des demandes de bourse chaque année et aucune n’a été acceptée, ce qui a alimenté le syndrome de l’imposteur et le sentiment que je n’étais pas à ma place.
Le bon côté des choses c’est, entre autres choses, que cela m’a obligé à travailler parce que je n’avais pas beaucoup d’argent! J’ai travaillé énormément sur le terrain. J’ai travaillé au conseil scolaire du district de Toronto pendant toutes mes études de doctorat et j’ai beaucoup d’expérience dans le domaine de l’éducation. J’ai travaillé dans un cabinet privé, j’ai travaillé au Syl Apps Youth Centre et j’ai acquis beaucoup d’expérience clinique intéressante. J’étais toujours très satisfait de mon travail de recherche. L’une des choses que j’aimais chez le Dr Grand, c’est qu’il ne m’empêchait pas de faire ce que je voulais.
Mes recherches portaient sur la violence communautaire chronique dans la région de Scarborough, puis, dans le cadre de mon doctorat, je me suis intéressé aux besoins en santé mentale des enfants en placement et en détention. À cette époque, au moins 50 % des enfants avec lesquels je travaillais étaient des PANDC. Une partie de ces recherches s’explique par le fait qu’à l’université, j’avais un ami proche qui est mort des suites de la violence armée. C’est ce qui m’a poussé à entamer ces recherches, et aujourd’hui encore, j’aimerais avoir plus de temps pour faire de la recherche et d’autres choses de ce genre, parce que cela signifie énormément pour moi. »
Avec tous les postes qu’occupe le Dr Belfon et les multiples chapeaux qu’il porte, il lui reste très peu de temps pour la recherche – ou pour quoi que ce soit d’autre d’ailleurs. Surtout aujourd’hui, car, d’après lui, la pandémie a considérablement augmenté la charge de travail. Les listes d’attente ne cessent de s’allonger et de plus en plus d’enfants, de jeunes et de familles demandent de l’aide pour des problèmes de santé mentale. Selon lui, cette augmentation de la demande est bien antérieure à la pandémie. Il dit avoir constaté, au cours des cinq dernières années, une augmentation du nombre de jeunes demandant de l’aide pour des problèmes de dépression, d’anxiété et de santé mentale. Il est difficile de dire si cela est dû au fait que les jeunes sont plus nombreux à souffrir ou au fait que les efforts déployés pour déstigmatiser ces maladies les incitent à demander de l’aide.
Les personnes qui s’adressent au Dr Belfon sont souvent des familles noires qui veulent voir un psychologue qui leur ressemble et qui a un vécu semblable au leur. Souvent, elles sont prêtes à attendre très longtemps, plus de huit mois parfois, pour consulter un psychologue noir. Pour lui, ce n’est pas l’idéal – c’est très long lorsque vous avez des problèmes graves, et il n’y a aucune garantie que vous rencontrerez un professionnel. Comme le dit le Dr Belfon, « nous confondons sans cesse race et culture ».
La rareté des psychologues noirs demeure une difficulté dans les communautés de couleur et se ressent fortement dans le sud de l’Ontario. À un moment donné, Belfon Psychological Services employait 60 % des psychologues noirs de la région – ils étaient trois. Voilà une autre raison pour laquelle la question de l’équité, de la diversité et de l’inclusion est si importante dans le domaine de la psychologie.
Le Dr Belfon apporte la dimension de l’EDI à tous ses projets, en s’efforçant de rendre les programmes plus inclusifs à Esprits Sains Enfants Sains, à l’organisme Kinark et dans son cabinet privé. Selon lui, il est bon de faire des efforts pour utiliser un langage plus inclusif, et de choisir des images et des exemples qui mettent en scène un groupe de personnes plus diversifié. Tout cela est utile pour faciliter l’accès et inciter davantage de personnes à demander des services et de l’aide. Mais ces mesures restent « superficielles ». Une fois que les gens ont franchi la porte, la programmation elle-même répond-elle à leurs besoins? Le programme auquel ils accèdent est-il aussi inclusif que le message qui les a amenés ici en premier lieu?
« Je ne connais pas nécessairement les réponses à ces questions. La psychologie commence à peine à penser de cette manière. Mais nous devons évaluer ces choses tout en pensant à la diversité et à la façon dont les différentes familles peuvent envisager ces choses différemment. Par exemple, un programme de formation parentale où nous parlons des pratiques parentales et de ce que nous considérons, en Amérique du Nord, comme des pratiques saines. Cela peut être totalement différent pour une famille dont les parents n’ont pas grandi dans la société nord-américaine et qui n’ont peut-être pas les mêmes valeurs. »
C’est à ce moment que le Dr Belfon revient au thème de la « réflexion » – ce qui compte le plus dans les efforts d’équité, de diversité et d’inclusion, c’est qu’ils soient au premier plan lorsqu’un programme est conçu, un comité est créé ou une politique est mise en œuvre. Si nous commençons tous à regarder ces questions sous l’angle de l’EDI et que nous partons de là, il est plus probable que le résultat final soit réellement inclusif et ne soit pas une simple façade.
« Nous réfléchissons systématiquement dans les organismes, à toutes les choses qui sont tournées vers l’intérieur. Les structures de direction, les pratiques d’embauche, les politiques et les procédures, en réfléchissant à la façon dont nous nous traitons les uns les autres. Peut-être avons-nous changé certaines formulations et expressions et amélioré des choses élémentaires, comme éliminer le langage binaire lié au genre sur nos formulaires. Une fois que nous aurons établi un cadre pour ce genre de choses – et nous avons entamé une partie de ce travail à Kinark –, la prochaine étape consistera à aborder la pratique clinique réelle, et à y réfléchir plus attentivement. Cela prendra du temps, et peut-être que rien ne changera! Peut-être que nous examinons un programme et décidons que le contenu est conforme à ce qu’il doit être. Mais y avons-nous réfléchi? Nous sommes-nous demandé si le contenu était pertinent ou non, au lieu de supposer que tous ces concepts sont neutres sur le plan culturel? Selon moi, c’est très important. »
Le comité de l’EDI du Collège des psychologues de l’Ontario ne travaille pas en vase clos. Il s’agit plutôt d’un groupe de personnes dont le rôle est d’influencer tous les autres groupes qui peuvent bénéficier de leur contribution. La Dre Donna Ferguson est la présidente du comité et le Dr Belfon travaille avec elle et les autres pour intégrer l’EDI à la culture globale du Collège.
« Nous avons étudié les expériences de nos membres par rapport à l’EDI et au Collège, en commençant par distribuer des questionnaires aux membres et recueillir des données auprès d’eux. Nous avons fait quelques formations sur l’EDI avec les autres comités, comme le comité de discipline, le comité de l’assurance de la qualité, mon propre comité, qui est celui des relations avec la clientèle. Nous disposons donc d’un langage avec lequel nous pouvons envisager l’EDI dès le départ. Ce que nous avons demandé, c’est qu’après cette formation, les membres de ces comités soient invités à réfléchir à la manière dont la thématique de l’EDI pourrait être liée à leur travail. »
Le Dr Belfon, la Dre Ferguson et le reste du comité de l’EDI se rendent dans chacun des autres comités, un à un, pour discuter du lien entre l’équité, la diversité et l’inclusion, et leur travail.
« Par exemple, si le comité d’inscription est responsable des examens oraux, y a-t-il des éléments des examens oraux auxquels nous devrions réfléchir et que nous devrions repenser à la lumière de l’anti-oppression ou de l’inclusion? »
Réfléchir. C’est le thème central de tout ce que fait le Dr Belfon, et c’est la clé pour faire évoluer les organisations, les entreprises, les groupes, et même la psychologie elle-même, dans une direction plus inclusive. C’est bien d’agir, mais avant d’avoir agi, avez-vous réfléchi? Avez-vous envisagé les choses sous l’angle de l’inclusion? Et comment vous assurez-vous que vos programmes sont inclusifs, plutôt que de simplement en avoir l’air?
Cela mérite réflexion.