Section Femmes et psychologie de la SCP
Nous sommes en 1976. Martha Lear vient d’inventer le terme « deuxième vague féministe » dans le New York Magazine, et ce mouvement est en plein essor. Aux États-Unis, le Titre IX vient d’être adopté, interdisant la discrimination fondée sur le sexe dans toute école recevant des fonds fédéraux. En Suède, le groupe 8 vient d’être fondé et milite pour l’égalité des salaires, le développement des garderies et la journée de travail de six heures. Au Canada, la SCP tient son congrès annuel dans un hôtel de Montréal.
Il y a un autre hôtel de l’autre côté de la rue, devant celui où se tient le congrès de la SCP. Bien que cet hôtel ne soit pas affilié à celui où se déroule le congrès, les deux établissements sont reliés par un tunnel souterrain qui passe sous la rue. Pendant que le congrès bat son plein, de nombreuses femmes s’éclipsent, passent discrètement dans ce tunnel pour tenir une réunion clandestine de leur côté de la rue. Ces étudiantes diplômées et chercheuses féministes non titularisées sont là pour présenter leurs communications les unes aux autres. Ces communications traitent de sujets relatifs à la psychologie des femmes et des jeunes filles, et elles ont un autre point commun. Lorsqu’elles ont été présentées à la SCP pour être incluses au programme du congrès, elles ont toutes été rejetées sommairement.
Cette réunion hors site, en marge du congrès, a été baptisée « Symposium souterrain ». Ce n’est pas tellement parce qu’elle était clandestine – les médias en ont fait grand cas – mais fort probablement parce qu’on y accédait par le tunnel souterrain reliant les deux hôtels. L’événement a connu un énorme succès, où les idées fusaient et la salle était pleine à craquer. C’est ce succès qui a mené, quatre ans plus tard, à la désignation d’un groupe d’intérêt appelé « Femmes et psychologie ». Ce groupe est devenu plus tard la Section Femmes et psychologie, ou SWAP (Section for Women and Psychology) – et c’est là que nous en sommes aujourd’hui.
Les membres de la Section Femmes et psychologie n’ont pas besoin de s’identifier comme des chercheuses ou des intellectuelles féministes, mais beaucoup d’entre elles le font encore. La présidente de la section, la Dre Lorraine Radtke, maintient certainement la tradition de ce récit des origines. La Dre Radtke est professeure émérite au département de psychologie de l’Université de Calgary, où elle a travaillé pendant près de 40 ans.
« Je m’identifie comme une psychologue féministe parce que j’accorde la priorité aux femmes et aux filles et que j’adopte une perspective critique à l’égard du statu quo. Je m’intéresse aux changements sociaux et à l’amélioration de la vie des femmes et des filles, » explique-t-elle.
La psychologie féministe a changé au fil des ans. L’un des principaux changements est le fait que la recherche et la pratique clinique sont désormais menées dans un cadre intersectionnel. Cela signifie qu’il faut être ouvert aux points de convergence et aux différences entre les femmes et les filles. Cela signifie également être attentif à la manière dont les facteurs sociaux, comme le sexe, l’origine ethnique, la sexualité et la situation socio-économique, influent sur leur vécu. La Dre Charlene Senn est professeure à l’Université de Windsor et affiliée au programme de psychologie sociale appliquée de la même université et dit de ses recherches et des recherches de ses collègues qu’elles sont toujours soucieuses de ce cadre intersectionnel. Elle affirme également que l’étude des femmes et de la psychologie est un sujet plus vaste que ce que beaucoup peuvent penser.
« Je suis une psychologue sociale féministe – la distinction me semble importante car la psychologie est perçue comme étant individuelle, alors qu’en fait elle s’intéresse aussi aux forces environnementales, culturelles et sociales. Je donne un cours de deuxième cycle en psychologie féministe et en psychologie des femmes et du genre. Nous étudions l’énorme travail effectué par les psychologues féministes dans de très nombreux domaines, où la psychologie se transforme grâce au travail qui se fait dans ces domaines. »
La Section Femmes et psychologie n’était pas réservée au départ aux psychologues féministes et elle compte aujourd’hui des chercheuses de tous les domaines, des étudiantes de divers départements du Canada et des psychologues cliniciennes, dont certaines travaillent principalement avec des femmes et des filles.
« Parallèlement à la recherche féministe ou à la recherche liée aux femmes et aux filles, il se fait de la recherche féministe sur une variété de sujets, comme la masculinité, et il existe un axe de recherche qui étudie également le statut des femmes en psychologie et s’intéresse à certaines questions comme les inégalités dans le domaine. Il y a donc une véritable variété », précise la Dre Senn.
La Dre Radtke abonde dans le même sens et déclare que cette grande variété de travaux réalisés sous l’angle de la psychologie des femmes et des filles constitue une grande partie de l’histoire de la section.
« Dans les premières années, les membres de la Section Femmes et psychologie étaient très actives au sein de la SCP et d’autres associations professionnelles au Canada et militaient pour l’égalité entre les sexes et la participation des femmes. Elles plaidaient en faveur de la révision des normes éthiques afin d’y intégrer une dimension qui tiendrait compte des préoccupations des femmes et des filles. La section a toujours eu un côté activiste, et encore aujourd’hui, elle compte un comité de la condition féminine, chargé de veiller à ce que tous les sexes et tous les genres soient égaux au sein de la discipline, et que ces normes continuent d’être respectées ».
C’est grâce à l’approche élargie et à la diversité des membres de la Section Femmes et psychologie et du comité de la condition féminine que la section a pu collaborer avec la Section de la psychologie des autochtones, la Section des étudiants et la Section de la psychologie des communautés rurales et nordiques pour organiser un débat d’experts virtuel lors du congrès de la SCP de 2021, portant sur les conclusions du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, et sur son impact sur la psychologie au Canada.
« Ce fut une très belle collaboration et ce fut très réussi. Il a été décidé que le comité ferait le suivi de ce débat d’experts en produisant un rapport non seulement sur le débat lui-même, mais en présentant aussi quelques recommandations. Il s’agit d’une tâche considérable pour un comité qui est relativement petit, qui se concentrera sur cette question au cours de l’année à venir », dit la Dre Radtke.
Le débat d’experts sur les femmes autochtones disparues et assassinées était un événement central au congrès de la SCP de 2021; personne n’a eu besoin de se faufiler l’autre côté de la rue pour exprimer son point de vue. La Dre Radtke souligne que des progrès ont été réalisés tant au sein de la discipline qu’au sein de l’organisation elle-même.
« Il est évident que la SCP est devenue plus égalitaire. Il y a plus de femmes qui assument la fonction de présidente de la SCP, et plus de femmes qui siègent au conseil d’administration que par le passé. Bien que ces problèmes soient moins importants à l’heure actuelle, il y a encore quelques questions qui nécessitent une attention particulière, comme la mise en candidature d’un plus grand nombre de femmes distinguées pour les prix de la SCP. »
Ces questions ne disparaîtront jamais complètement, et il y a encore beaucoup de travail à faire pour les membres de la Section Femmes et psychologie et les psychologues qui travaillent dans le domaine de la psychologie des femmes. Pendant la pandémie, les emplois des maris ont pris le pas sur ceux des femmes – même lorsque la femme est une universitaire, même lorsqu’elle gagne plus que son mari – car la garde des enfants est encore trop souvent perçue sous un angle traditionnellement patriarcal. Les cas de violence à l’égard des femmes continuent d’augmenter, car beaucoup de femmes sont piégées à la maison avec leur agresseur. La Dre Senn, dont la spécialité est la prévention de la violence, dit que lorsque les campus rouvriront, le nombre d’agressions sexuelles reviendra probablement au niveau d’avant la pandémie. En fait, il n’a pas baissé depuis les années 1980.
Le domaine de la psychologie des femmes a beaucoup progressé depuis le Symposium souterrain, mais il reste encore beaucoup à faire pour que le travail des psychologues féministes soit reconnu. Selon la Dre Senn, « nous devons encore faire des efforts pour que les connaissances acquises grâce aux recherches exceptionnelles menées par les psychologues féministes soient davantage intégrées dans la société. » Elle fait une pause et échange un regard complice avec la Dre Radtke. « Y compris dans les manuels d’introduction à la psychologie ».