« With so much drama in the LBC
It's kinda hard bein’ Snoop D-O-double-G. »
Vous assistez au spectacle de la mi-temps du Super Bowl. Dr. Dre, Eminem, Mary J. Blige, Snoop Dogg et Kendrick Lamar sont sur scène, et vous vibrez au rythme de la musique. Sur le grand écran, vous pouvez voir Snoop faire du rap, et la musique frappe fort dans vos oreilles. La foule qui vous entoure hurle et applaudit. Vous êtes perdu dans le moment présent et vous ne vous demandez pas vraiment « comment savoir que tout cela est réel? Qu’est-ce qui me dit que c’est bien la voix de Snoop Dogg que j’entends? Comment puis-je être certain que le bruit de la foule autour de moi est fait par les autres supporters? » Vous n’avez pas à répondre à ces questions parce que votre cerveau rassemble les informations pour vous. Les lèvres de Snoop bougent sur le grand écran et semblent correspondre aux paroles que vous entendez. Le bruit de la foule vient de derrière, de devant et tout autour de vous, et votre cerveau fait le tri pour vous, de sorte que vous savez qu’il y a des milliers de personnes qui crient de milliers de façons, et vous n’avez pas besoin de prêter attention à une quelconque voix dans la foule.
La façon dont le cerveau exécute ces tâches est le domaine des sciences cognitives, qui est la spécialité de chercheurs comme le Dr Jonathan Wilbiks, professeur agrégé en psychologie à l’Université du Nouveau-Brunswick, Saint John. Le Dr Wilbiks est le président de la Section cerveau et science cognitive de la SCP et il étudie l’intégration audiovisuelle et le traitement multisensoriel – comment le cerveau reçoit diverses informations sensorielles et décide implicitement si ces choses proviennent de la même source. (Vos lèvres bougent et j’entends chanter – c’est probablement votre voix que j’entends.)
Dernièrement, certains des travaux du Dr Wilbiks ont porté sur la perception et les aptitudes musicales. Son équipe de chercheurs a constaté que les musiciens obtiennent de bien meilleurs résultats que les non-musiciens dans des tâches où le son et les images sont en concordance, c’est-à-dire que l’image correspond au son et se produit au même moment. Mais les musiciens sont moins performants que les non-musiciens lorsque le son et les images ne sont pas en concordance. Les personnes qui ont une formation en musique, plus que celles qui n’en ont pas, utilisent l’information auditive pour donner un sens à ce qu’elles voient.
Lorsque Angela Hewitt s’assoit devant son piano et place devant elle la partition des Variations Goldberg, tout est parfaitement logique. Chaque note qui figure sur la feuille représente une note qu’elle doit jouer au piano, et les deux choses concordent : elle a fait cela toute sa vie et c’est plus facile pour elle que pour… eh bien, tout le monde. Mais si, au lieu de la partition, on lui avait présenté une tablette cunéiforme représentant une notation musicale, il se peut qu’elle soit complètement perdue. En fait, quelqu’un qui ne sait pas du tout lire la musique pourrait être capable d’accomplir cette tâche mieux qu’elle. (Les plus anciennes notations musicales jamais découvertes datent d’environ 1 400 avant J.-C. et sont inscrites sur une tablette cunéiforme trouvée dans l’actuel Irak.)
Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, le béhaviorisme était le courant le plus populaire en psychologie. Les chercheurs béhavioristes plaçaient un rat dans une boîte et l’exposaient à un stimulus, puis ils mesuraient les réactions du rat et la façon dont elles évoluent dans le temps avec une exposition répétée au même stimulus. Ils ne portaient pas vraiment attention à ce qui se passait réellement dans le cerveau. Selon le Dr Wilbiks, c’est parce que la science repose sur des faits observables, et qu’à l’époque, il n’y avait aucun moyen d’observer ce qui se passait dans le cerveau. Cela a commencé à changer à la fin des années 1960, lorsque le psychologue germano-américain Ulric Neisser a publié Cognitive Psychology, où il avançait que les processus mentaux d’un individu peuvent, en fait, être mesurés et analysés.
« Les chercheurs en sciences cognitives qui ont fait leur apparition dans les années 1960 ont dit “il se produit plein de choses dans le cerveau”, explique le Dr Wilbiks. Bien sûr, nous ne savons pas exactement ce qui s’y produit, mais il se produit quelque chose, et ce serait une erreur de ne pas en tenir compte. Ils ont donc essayé d’émettre des hypothèses sur ce qui se produit et de mesurer cela à l’aide d’observations secondaires. La tâche de temps de réaction en est un exemple simple. Je vous donne un bouton et vous demande d’appuyer dessus chaque fois qu’une lumière clignote sur l’écran devant vous. Les gens sont généralement assez rapides – leur temps de réaction est d’environ 200 millisecondes. Mais si je vous donne deux boutons et que je vous demande d’appuyer sur le bouton de gauche lorsque la lumière verte clignote et sur le bouton droit lorsque la lumière rouge clignote, il faudra plus de temps – peut-être 400 millisecondes. Nous ne pouvons pas voir ce qui se produit dans le cerveau, mais nous pouvons supposer que si la première tâche prend 200 millisecondes et la deuxième, 400 millisecondes, cela signifie très clairement que le traitement des informations dans le cerveau prend du temps. »
Avec le temps, bien sûr, les choses ont dépassé le stade de la lumière rouge et de la lumière verte lorsque les expériences sont devenues plus sophistiquées et que la technologie nous a permis de voir réellement ce qui se passe dans notre tête. Nous sommes capables de voir la tension électrique créée par les impulsions neurales dans le cerveau. Les appareils d’IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) permettent aux scientifiques d’observer et de mesurer les variations de l’oxygénation du sang qui indiquent des niveaux différents d’activité cérébrale. Nous pouvons désormais dire quelles zones du cerveau sont actives, quand elles le sont, et ensuite corréler cela avec les informations comportementales que nous recueillons.
Le domaine des sciences du cerveau et des sciences cognitives est vaste et a une incidence qui se manifeste dans notre vie quotidienne, et ce, de multiples façons. En ce moment, il se passe plein de choses autour de vous. Supposons que vous êtes assis sur une chaise. Il y a d’autres meubles dans la pièce, peut-être des décorations sur les murs. Il y a de la circulation à l’extérieur, le lave-vaisselle fonctionne peut-être en arrière-plan et quelqu’un regarde la télévision dans une autre pièce, tout cela pendant que vous lisez cet article. Il vous est impossible de prêter attention à tout en même temps, c’est pourquoi votre cerveau filtre tous ces stimuli externes avant même que vous ne les perceviez, pour éviter que vous ne soyez submergé.
Votre cerveau décide, pour vous, de ce qui est important. La circulation que vous entendez dehors? Vous pouvez l’ignorer parce qu’elle ne constitue pas une menace. Comme le dit le Dr Wilbiks, il est rare qu’une voiture percute une maison; ainsi, lorsque vous êtes assis dans votre maison, vous n’avez pas à faire attention au bruit des voitures. Mais lorsque vous marchez dans la rue, le bruit des voitures est très important pour vous – si vous entendez le bruit d’une voiture qui accélère au moment où vous vous engagez sur un passage pour piétons, vous devriez à l’évidence tourner la tête vers ce bruit pour voir ce qui se passe, car il existe maintenant une réelle possibilité de danger.
Le cerveau crée des raccourcis pour obtenir une efficacité maximale avec un minimum d’effort, et ce phénomène est appelé « économie cognitive ». Parce que nous utilisons de tels raccourcis, et que nous ne traitons que les informations les plus pertinentes et ne retenons que les indices les plus importants, nous sommes plus sensibles aux « incitations douces ». Ce sont de petites choses que les sciences cognitives ont créées pour nous inciter à nous comporter d’une certaine manière. Comme conduire plus prudemment. Le Dr Wilbiks en donne un exemple :
« Vous êtes sur la route au volant de votre voiture et vous savez que vous roulez dans une petite rue résidentielle. Vous savez que la limite de vitesse est de 40 km/h, vous conduisez donc plutôt lentement, et vous êtes attentif. Vous guettez s’il y a des enfants qui courent dans la rue, un chien en liberté, un ballon de basketball qui roule vers la route. Si vous roulez sur l’autoroute, vous portez attention à beaucoup d’autres choses, mais vous ne cherchez pas un ballon de basketball égaré. Nous pouvons utiliser la compréhension cognitive et les incitations douces dans une situation où, par exemple, les gens ont tendance à rouler trop vite dans une rue résidentielle. Nous pouvons faire des choses pour les faire ralentir. Vous verrez parfois de petits îlots, surmontés d’un arbre ou d’autre chose, qui rendent la route un peu plus étroite. Ces îlots ne gênent pas la circulation, mais le commun des mortels ne se sentirait pas à l’aise de passer dans cet espace étroit à une vitesse supérieure à 40 km/h. »
La seule chose sur laquelle mon cerveau se concentre, que je sois dans ma voiture ou en train de travailler sur mon ordinateur, c’est la musique. Partout où il y a de la musique, que ce soit en fond sonore ou dans le garage de mon voisin au bout de la rue, je ne peux pas l’ignorer. Le Dr Wilbiks dit que l’un des cours qu’il préfère donner est le cours de psychologie de la musique, car il englobe de nombreux aspects de la psychologie en général, et pas seulement des sciences cognitives.
« Je fais généralement peur aux étudiants lors des premiers cours, parce que nous commençons par la physique. La physique du son et des ondes sonores, et leur fonctionnement. Ensuite, nous abordons la façon dont les vibrations pénètrent dans l’oreille, comment elles se traduisent dans le cerveau et comment on les perçoit. Puis nous passons à la psychologie du développement – comment développer nos aptitudes musicales, le parallèle étroit entre développement musical et développement linguistique. Nous parlons de thérapie – il se fait des travaux très intéressants qui utilisent la musique (thérapie d’intonation mélodique) pour aider les personnes qui ont subi un accident vasculaire cérébral à retrouver certaines capacités linguistiques. »
Nous avons tous deux hémisphères dans notre cerveau, et il y a une zone dans l’hémisphère droit où nous traitons la musique. Il y a une région dans l’hémisphère gauche qui reproduit presque exactement la partie musicale, et c’est là que nous traitons le langage. Lorsque les personnes qui ont subi un accident vasculaire cérébral chantent les mots qu’elles essaient de prononcer, elles peuvent, avec le temps, entraîner l’autre hémisphère de leur cerveau pour qu’il traite à nouveau le langage. À la longue, elles pourraient retrouver jusqu’à 70 % à 80 % de leur capacité de parole. Les personnes atteintes de démence sont souvent capables de créer un lien avec la musique qu’elles ne peuvent pas établir avec le langage, car la musique peut déclencher des souvenirs qui seraient autrement inaccessibles.
Vous avez peut-être vu le mème qui circule et qui dit « my ability to remember song lyrics from the 80s far exceeds my ability to remember why I walked into the kitchen » (ma capacité à me souvenir des paroles de chansons des années 1980 dépasse de loin ma capacité à me rappeler pourquoi je suis en ce moment dans la cuisine) ». Cela pourrait bien être vrai, car la musique de notre jeunesse reste un puissant déclencheur de souvenirs. C’est pourquoi les groupes de soutien aux personnes atteintes de démence chantent souvent ensemble des chansons de leur jeunesse – des chansons des Beatles et des Beach Boys et des chansons folkloriques traditionnelles du pays où elles ont grandi. Dans quelques années, les choses seront peut-être un peu différentes – en 2054, ces groupes de soutien pourraient chanter « Gin et Juice » de Snoop Dogg. Les chansons de rap produiront-elles le même genre de souvenirs et amélioreront-elles les capacités linguistiques de la même façon? Seul le temps le dira, mais lorsque nous aurons la réponse à cette question, elle nous sera fournie par des psychologues spécialisés en psychologie cognitive et d’autres spécialistes du domaine.