Fin juin 2021, la Colombie-Britannique vivait sous un « dôme de chaleur ». Les températures atteignaient régulièrement les 50 degrés Celsius et, le 1er juillet, près de 500 feux de forêt brûlaient dans la province, dont celui qui a détruit la ville de Lytton. À Nelson, dans la région de Kootenay, le Dr Todd Kettner, psychologue, déménageait avec sa conjointe dans un nouveau lotissement à faible empreinte écologique. Le lendemain de la prise de possession de la dernière maison de ce hameau, un incendie s’est déclaré à un kilomètre de là. Ces bâtiments écologiques étaient désormais occupés par des propriétaires inquiets, à mesure que s’accumulaient sur leurs beaux toits neufs les braises de l’incendie voisin.
Au centre médical de Kootenay, à Nelson, le Dr Kyle Merritt, chef du service des urgences, a vu arriver des patients présentant des symptômes liés à la fumée des feux de forêt et au dôme de chaleur. Les problèmes cardiaques aigus sont plus fréquents en présence de fumée de feu de forêt dans la région, et d’autres problèmes de santé peuvent s’aggraver en cas de chaleur intense. L’hôpital ne se trouvait pas en situation de débordement, mais la situation était suffisamment préoccupante pour que le Dr Merritt intervienne et, ce faisant, fasse la une des journaux.
« J’ai rencontré une patiente ayant été admise à cause de la chaleur causée par le dôme. J’ai donc consigné mes observations par écrit, comme le font tous les médecins lorsqu’ils ont un patient devant eux, et dans ma note, j’ai indiqué que le changement climatique était la cause sous-jacente. De la même manière que vous diriez qu’une personne a fumé toute sa vie et qu’elle est maintenant atteinte d’un cancer du poumon. Vous ne diagnostiquez pas qu’une personne a fumé des cigarettes, vous lui diagnostiquez un cancer du poumon, mais vous pouvez écrire que l’usage du tabac est la cause sous-jacente. »
Ce geste a fait sensation, car les journaux locaux et étrangers ont repris l’histoire d’un médecin qui avait diagnostiqué le changement climatique chez une patiente. Bien sûr, ce n’est pas vraiment ce qu’a fait le Dr Merritt. On ne peut pas « diagnostiquer » un changement climatique à une personne, et la mention de la cause sous-jacente n’est pas la même chose que le diagnostic. Mais un titre à sensation reste une force puissante dans notre société, et l’histoire s’est répandue comme de la menthe dans mon jardin.
Note de l’auteur : Il est peut-être temps de mettre à jour nos expressions idiomatiques lorsqu’il s’agit de la vitesse à laquelle quelque chose se propage. À l’heure actuelle, la quasi-totalité de ces expressions fait référence à des maladies de type pandémique ou à des feux de forêt. Il me semble que ce n’est pas la bonne expression à utiliser, étant donné que nous sommes toujours confrontés à une pandémie mondiale qui a tué des millions de personnes et que, dans le cas présent, nous parlons de feux de forêt qui ont déplacé des milliers de personnes et causé plusieurs décès. C’est pourquoi je suggère humblement d’utiliser « se répand comme de la menthe dans mon jardin ». Lançons le mouvement!
La chaleur, les incendies et les problèmes dévastateurs qu’ils ont causés ont incité le Dr Merritt à se joindre à quelques collègues pour créer un organisme appelé Doctors and Nurses for Planetary Health (DNPH) (médecins et infirmières pour la santé de la planète). Dans un contexte où les professionnels de la santé constataient les effets directs du changement climatique sur la santé des personnes qu’ils soignent, ils se sont dit qu’ils pouvaient faire plus. Depuis, l’organisation s’est élargie pour inclure des professionnels de la santé de toutes sortes, dont le Dr Kettner. Il s’agit à la fois d’un groupe de pression, d’un organisme consultatif et d’un collectif, dont l’objectif est de faire de la lutte contre le changement climatique un élément central de ses propres pratiques à Nelson et dans les environs.
Nelson est une petite localité de la région de Kootenay composée d’une population d’environ 10 000 habitants et fortement associée au secteur des ressources. C’est une ville dont la création il y a 130 ans tire son origine de l’exploitation minière et qui entretient toujours des liens étroits avec le secteur forestier. À l’instar de nombreuses petites villes au cadre pittoresque, ses résidents ont tendance à se sentir connectés au territoire qui les entoure. Si l’on ajoute à cela l’afflux à la fin des années soixante de jeunes étatsuniens, pour la plupart libéraux, qui ont fui la conscription associée à la guerre du Vietnam, on obtient le genre de ville où la création d’un collectif tel que Doctors and Nurses for Planetary Health n’est pas si incongrue. Comme le dit le Dr Kettner, Nelson s’en va sur ses « 50 ans de vie hippie ».
Deuxième note de l’auteur : Je voulais vraiment intituler ce texte « 50 ans de vie hippie » parce que j’adore cette tournure. J’ai même promis, lorsque je l’ai entendue, que je le ferais. Mais je me suis ravisé au dernier moment, car je suis réticent à renforcer le stéréotype négatif selon lequel l’action climatique et l’intérêt pour les questions environnementales sont quelque chose d’éthéré qui n’appartient qu’aux hippies vieillissants et aux jeunes musiciens punks. Il s’agit, bien sûr, d’un sujet qui nous concerne tous et dont les gens de tous les milieux se préoccupent, au-delà de toutes frontières culturelles.
Bien que les membres de DNPH soient des militants écologistes sous une forme ou une autre, c’est leur position en tant que prestataires de soins de santé qui confère à leur message une certaine autorité. Selon le Dr Kettner, « si l’on regarde à qui les gens font confiance lorsqu’il s’agit d’environnement, ce ne sont ni aux politiciens, ni aux militants écologistes, ni aux bûcherons, ni aux mineurs, mais souvent aux professionnels de la santé – les infirmières ou leur médecin de famille ».
Ces dernières années, nous avons assisté à une érosion de la confiance du public à l’égard des professionnels de la santé. Des gens qui manifestent dans les hôpitaux, des gens qui perturbent la vie de tous les autres parce qu’ils croient à tort que le vaccin contre la COVID-19 serait en quelque sorte responsable d’un plus grand nombre de décès que la COVID-19 elle-même. Si ces gens sont les plus bruyants, ils ne représentent pas la majorité des Canadiennes et Canadiens, et la médecine reste une profession qui jouit de la confiance générale de la population.
C’est particulièrement vrai à Nelson. Une autre raison pour laquelle les Drs Merritt et Kettner et leur groupe parviennent à obtenir des résultats est que Nelson est une très petite ville. Les personnes avec lesquelles vous jouez au hockey le mardi soir sont les mêmes que celles que vous voyez à l’épicerie et celles qui vous demandent une aide professionnelle. Dans le cas du Dr Merritt, cela signifie qu’il a des patients dont il est le médecin depuis leur naissance. Pour le Dr Kettner, cela signifie que sa pratique et son travail sont étroitement liés à la communauté, qu’il considérait déjà comme son foyer bien avant de devenir psychologue. Les relations entre les membres de la communauté créent des liens solides, difficiles à rompre. Le genre de liens qui peuvent résister à la tempête de la désinformation en ligne.
Le groupe DNPH a été très efficace à plusieurs égards (projets locaux d’infrastructures et de transport, réduction de l’empreinte de son système de santé), mais son plus grand exploit est peut-être celui d’avoir réussi à établir un lien entre la santé planétaire et la santé humaine. Récemment, le groupe a collaboré avec la Ville pour augmenter la distribution d’électricité dans les foyers tout en réduisant la quantité de combustibles fossiles dans ces foyers. Cette démarche est non seulement bénéfique pour l’environnement, mais elle améliore aussi la santé des personnes qui ne sont plus exposées à des émissions à l’intérieur de leurs propres murs.
Selon le Dr Merritt, « il ne peut y avoir de santé humaine sans un climat stable, un air sain et une eau saine. Pour certaines personnes, ce lien n’est pas aussi évident, et nous essayons d’intégrer cette notion dans tout ce que nous faisons. »
Dans tous les domaines d’activité, il existe de multiples possibilités de faire des choix durables et respectueux de l’environnement. En santé, ces choix s’accompagnent presque toujours d’un bénéfice pour la santé. Dans le cas du Dr Merritt, il s’agit de petites choses, comme le recyclage des piles et batteries utilisées dans l’hôpital, et de plus grandes choses, comme s’attaquer au problème des gaz anesthésiques et des inhalateurs qui contiennent des hydrofluorocarbures et des chlorofluorocarbures, importants contributeurs au changement climatique.
« L’un des avantages que j’ai à travailler dans le domaine des soins primaires au sein d’un système public est que j’ai l’occasion d’interagir avec des personnes de tous horizons, de la naissance à la mort, au sein de ma communauté. Cela me donne l’occasion d’apprendre à connaître ce qu’ils vivent. Et aux urgences, lorsque des événements tels que des feux de forêt ou la chaleur surviennent, ce sont les personnes les plus vulnérables qui sont touchées. C’est aussi le cas pour la santé mentale : on observe lors de ces événements une exacerbation aiguë des symptômes des personnes ayant des problèmes de santé mentale, et celles-ci se présentent alors aux urgences. Une partie de notre rôle consiste à plaider en faveur de la santé, et le changement climatique en fait désormais partie. »
Troisième note de l’auteur : Selon le Dr Kettner, les nouvelles et informations récentes sont l’une des façons de maintenir le changement climatique au premier plan des préoccupations des gens et de les inciter à y prêter attention. Cela fait un moment que nous entendons parler des ours polaires, du pergélisol et de la Grande Barrière de corail, et certains ont fini par se désintéresser de ces enjeux. Une nouveauté susceptible de piquer l’intérêt d’une personne au cours d’une conversation pourrait la ramener à réfléchir à la question du climat. Par exemple quelque chose comme « Savais-tu que les gaz anesthésiques sont un contributeur important à la destruction de la couche d’ozone et au réchauffement par effet de serre? ».
Pour le Dr Kettner, sa participation à des organismes comme DNPH lui permet de partager son savoir-faire relativement aux effets du changement climatique sur la santé mentale. Son travail avec le MIR Centre For Peace du Selkirk College lui a permis d’aborder la crise climatique sous un angle supplémentaire, celui de l’intersectionnalité. Non seulement y a-t-il un recoupement entre santé physique et santé mentale, mais il existe une corrélation importante entre le changement climatique et la paix mondiale, la justice sociale et les inégalités.
« J’ai maintenant l’impression de me concentrer sur les questions les plus importantes : les déterminants sociaux de la santé, un meilleur accès aux services de santé mentale pour un plus grand nombre de personnes, le respect et la réconciliation avec les peuples autochtones. C’est là que je veux concentrer une grande partie de mon énergie au cours des 20 dernières années de ma carrière professionnelle. »
Quatrième note de l’auteur : Lors de notre discussion sur la réconciliation avec les Autochtones, nous avons parlé du principe de la septième génération des Haudenosaunee. Il s’agit d’une philosophie à laquelle les Haudenosaunee adhèrent depuis des centaines d’années et qui veut que nous ne soyons pas seulement les gardiens de notre environnement pour nous-mêmes et nos descendants, mais aussi pour leurs descendants et la génération suivante, et ainsi de suite. Le Dr Merritt nous a fait part d’une information intéressante, que ce soit pour réfléchir à son application au Canada ou pour vous aider un jour à gagner à Jeopardy!. En 2015, le gouvernement du Pays de Galles a créé un nouveau poste : commissaire aux générations futures. C’est Sophie Howe qui a occupé ce poste jusqu’en 2023 et son successeur est Derek Walker.
Il y a plusieurs villes dans la région de Kootenay, et tant le Dr Kettner que le Dr Merritt évoquent une sorte de rivalité Springfield-Shelbyville entre ces villes. Mais cette rivalité disparaît rapidement lorsqu’il s’agit d’adopter des pratiques durables, en particulier à la suite des récents événements climatiques désastreux. Le Dr Kettner décrit la situation au moment où les feux de forêt de 2021 s’atténuaient.
« Des enseignants m’ont contacté depuis d’autres villes de la Colombie-Britannique à la recherche de ressources pour aider leurs élèves à surmonter leur anxiété lors du retour à l’école après les feux de forêt ravageurs qui les avaient renvoyés chez eux pendant un mois. C’est le genre d’appel que je ne recevais pas en tant que praticien privé recevant une personne dans mon cabinet pour une dépression. Élargir notre champ d’influence auprès du public et de nos patients est une chose qui me tient à cœur. »
Sortir du cadre de son travail immédiat est toujours un peu risqué. Cela signifie faire quelque chose qui se situe en dehors de notre zone de confort et s’exposer à une certaine dose de venin de la part des détracteurs qui exigent que l’on « reste à sa place ». Cela peut sembler un peu moins risqué dans un endroit comme Nelson, en Colombie-Britannique, mais il faut tout de même faire preuve d’un peu d’audace. Le fait que Todd et Kyle aient franchi ce pas témoigne de la passion qui les anime et de la nécessité immédiate d’agir, et leurs actions ont eu des retombées majeures.
Le groupe DNPH a participé activement au nouveau plan de transport actif de la Ville, en veillant à ce qu’il soit aussi durable et respectueux de l’environnement que possible. Quelques médecins et infirmières du groupe présentent certaines de leurs avancées aux villes voisines. Le groupe travaille avec des experts forestiers relativement à des terrains adjacents à la ville, afin de réduire les risques d’incendie tout en améliorant l’accès de la population aux bienfaits pour la santé mentale d’une promenade dans les bois. Ils sont désormais associés à de nombreuses décisions importantes et leur avis est sollicité sur des projets qui n’ont pas grand-chose à voir avec les soins de santé, à l’exception du thème central de Doctors and Nurses for Planetary Health, à savoir que la santé planétaire et la santé humaine sont inextricablement liées.
Note finale de l’auteur : Pendant que nous parlions, le Dr Kettner s’est souvenu avec émotion d’une série de publicités télévisées de sa jeunesse, qui mettaient en scène le glacier Kokanee dans des publicités pour la bière Kokanee. Il a déploré la vitesse à laquelle ce glacier disparaît aujourd’hui, rappelant une fois de plus les effets dévastateurs du changement climatique, là, dans sa propre arrière-cour. Au cours de cette discussion, nous avons découvert que la bière Kokanee est encore aujourd’hui l’une des marques les plus vendues au Canada. Cela m’a surpris, car je ne pensais pas qu’elle était encore brassée, du moins pas depuis mon passage au secondaire, époque à laquelle j’ai vu ces publicités. J’ai trouvé cela suffisamment intéressant pour l’ajouter à cet article – il semble que la Kokanee ait une bien plus grande longévité que je ne l’imaginais!
Une longévité à laquelle n’auront malheureusement pas droit les glaciers.