Le nombre sans précédent d’incendies de forêt dans les Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.) au printemps et à l’été 2023 a entraîné le déplacement de plus des deux tiers (environ 70 %) des habitants de ce territoire. Une grande partie de la population a été évacuée de son domicile pour des périodes dépassant un mois. Certaines communautés ont été évacuées plusieurs fois. Le 14 mai à 16 h 30, la réserve de Katlodeche est évacuée de l’autre côté de la rivière vers Hay River. À 23 h le soir même, la ville de Hay River a émis un avis d’évacuation et les citoyens des deux communautés ont été invités à se rendre à Yellowknife ou à se diriger vers le sud de l’Alberta. Le 6 juin, la population a été autorisée à rentrer chez elle. Puis, le 12 août, la population de Fort Smith a été évacuée vers Hay River. Moins de 30 heures plus tard, les communautés de Hay River et de Katlodeche ont à nouveau dû être évacuées, cette fois vers l’Alberta, avant de pouvoir rentrer chez elles le 13 septembre. Les communautés situées au nord de Hay River ont été évacuées tout au long du mois d’août, et Yellowknife a été évacuée le 13 août. Au total, environ 25 900 personnes ont été évacuées de leur domicile dans les Territoires du Nord-Ouest au cours de l’été 2023.
Gerald Antoine, grand chef national de la Nation Déné, a demandé la tenue d’une enquête publique indépendante afin d’encourager tous les citoyens à parler de leur expérience, étant donné que l’analyse des incendies de forêt prévue par le gouvernement des T.N.-O. ne prévoit pas la participation du public.
Les évacuations massives de petites et grandes communautés des T.N.-O. cet été ont mis en lumière des problèmes qui ne sont pas forcément propres au Nord, mais qui sont devenus beaucoup plus aigus en raison de l’isolement relatif et des spécificités linguistiques et culturelles d’un grand nombre de communautés autochtones du Nord. Par le passé, les communautés qui devaient être évacuées étaient généralement encouragées à se réfugier dans la grande communauté la plus proche du territoire, ce qui permettait de garantir la disponibilité d’au moins un certain soutien culturel et linguistique; cependant, l’ampleur des évacuations de 2023 a poussé les familles à se réfugier dans le Sud. Pour les familles disposant de leur propre moyen de transport et habituées à voyager, les évacuations, bien que stressantes et effrayantes, ont été supportables. Pour les familles des petites communautés, ou même de Yellowknife, qui disposaient de peu de ressources et n’avaient pas de moyen de transport, l’évacuation a été plus difficile. Les familles ont été mises à bord d’avions pour être transportées vers le sud. Elles n’ont pu apporter qu’un petit sac à dos par personne. Dans certains cas, les personnes ne savaient même pas où leur avion les emmenait au moment de décoller. Au moins un vol a été redirigé en plein vol et les passagers ont été emmenés à Calgary au lieu d’Edmonton. Dans d’autres cas, les Aînés, qui ne parlent que la langue de leur peuple, ont été évacués vers des villes où il n’y avait pas de soutien linguistique. Une éducatrice a raconté que sa grand-mère avait été envoyée à Vancouver lors de l’évacuation médicale et qu’il avait fallu quatre jours à sa famille pour la localiser et faire venir un membre de la famille pour qu’il la rejoigne et fasse office de traducteur.
The National Association of School Psychologists a publié en 2017 un article sur l’aide à apporter aux enfants et aux familles après un incendie de forêt. Cet article explique comment les évacuations massives perturbent la sécurité et la normalité. La nécessité de déménager, même temporairement, provoque un traumatisme, des réactions émotionnelles et des problèmes d’adaptation.
Pour les enfants et les familles qui ont évacué les T.N.-O. par la route au cours de l’été 2023, un stress supplémentaire a été engendré par le fait de devoir rouler au milieu des incendies faisant rage de part et d’autre de la route, tout en étant confronté à une qualité de l’air et une visibilité extrêmement mauvaises en raison de la fumée. Au cours de l’été, les familles qui quittaient le Nord ont traversé la communauté d’Enterprise, dont 90 % des habitations avaient été incendiées quelques jours avant l’évacuation du nord. La vue de la communauté incendiée a été dévastatrice pour les enfants comme pour les adultes.
Pour certains élèves des T.N.-O., les évacuations ont entraîné une interruption des cours en mai et juin, puis en septembre, avant qu’ils ne soient autorisés à rentrer chez eux. Les élèves qui ont regagné leur communauté en voiture ont vu de vastes étendues de terres brûlées et des incendies actifs qui brûlent ou couvent encore. La qualité de l’air était toujours mauvaise. Ces images ont fait prendre conscience aux enfants que, bien qu’ils aient été autorisés à rentrer chez eux, les incendies étaient toujours bien réels et tout proches.
Les évacuations dans le Nord ont coûté cher aux familles. Bien que des logements aient été fournis par la Croix-Rouge ou par des organisations locales d’aide aux sinistrés dans les communautés qui ont accueilli des personnes évacuées (ces logements étaient payés par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest – GTNO), les personnes les plus vulnérables sur le plan économique ont tout de même connu des difficultés économiques considérables. Les salariés payés à l’heure se sont soudainement retrouvés sans revenus, et les familles bénéficiant d’un soutien au revenu avaient déjà dépensé une grande partie de leur allocation mensuelle en nourriture qu’elles n’ont pas pu emporter avec elles pendant l’évacuation. Des promesses de financement ont été faites par le gouvernement, mais ce n’est que vers la fin de l’évacuation que les détails en ont été communiqués — et le soutien financier à l’évacuation a été très minime. En conséquence, les enfants et les familles ont été confrontés à l’insécurité alimentaire pendant et après l’évacuation.
En retournant dans le Nord après l’évacuation, les familles ont été confrontées à des changements considérables autour de leurs maisons et de leurs communautés. Les maisons situées en dehors de leur quartier ont été détruites par le feu et les zones brûlées se sont rapprochées des communautés, empiétant parfois sur leur territoire. En route vers leur ville d’origine, les enfants et les familles ont été constamment exposés à des rappels de l’évacuation et de sa menace permanente. Les incendies de forêt se sont déplacés sous terre dans le Nord, dans la tourbe et, par conséquent, à l’heure où nous écrivons ces lignes (janvier 2024), les incendies couvent encore — émettant de la fumée et parfois des flammes dans les zones brûlées. En circulant sur l’autoroute entre les communautés où des incendies importants ont eu lieu, les gens sentent encore l’odeur des feux actifs et en sont témoins. Bien que les brûlis ne menacent pas actuellement les habitations, leur seule présence est source de malaise et d’inquiétude.
Le nombre massif de personnes évacuées signifie que toutes les communautés ont été touchées. Les enseignants et les conseillers ont été touchés par l’évacuation et la menace d’incendies de forêt, et en ont subi les conséquences, tout comme leurs élèves et leurs familles. Le stress financier supplémentaire causé par les évacuations a aggravé l’insécurité alimentaire et les soucis financiers des familles du Nord.
Il est important de prendre des mesures pour soutenir le personnel des écoles afin qu’il puisse également soutenir les élèves. La National Association of School Psychologists (NASP) recommande que le personnel scolaire ait la possibilité de partager son expérience et ses sentiments et de les gérer afin de pouvoir aider ses élèves. Le personnel doit être conscient des réactions traumatiques possibles de ses élèves et être prêt à partager cette information avec les parents, qui pourraient avoir l’impression que le comportement de leur enfant a changé depuis les évacuations.
(Fait intéressant, les psychologues qui travaillent dans les communautés touchées par les incendies signalent une augmentation du nombre de demandes d’information de la part des parents pour des enfants présentant des symptômes d’anxiété et des problèmes de comportement qui sont apparus pendant l’évacuation et qui ne se sont pas résorbés).
Les écoles qui disposent de services de counselling devraient être encouragées à organiser des séances d’intervention en cas de crise avec leurs élèves afin de les encourager à partager leur vécu, à exprimer leurs inquiétudes et à les aider à comprendre les incendies de forêt. Dans les écoles et les circonscriptions scolaires qui disposent de psychologues scolaires, ces derniers pourraient être chargés d’animer ces séances de discussion. Dans les T.N.-O., il n’y a pas de psychologues employés par les écoles ou les circonscriptions scolaires, mais on peut trouver un soutien similaire auprès des conseillers en santé mentale pour les jeunes.
Au moment où la communauté commence à revenir, il est important que les écoles continuent à fournir du soutien pour permettre aux élèves d’explorer et d’assimiler leur expérience. Il est également important de discuter des mesures concrètes que les élèves peuvent prendre et de la manière dont ils peuvent prendre part à des activités qui peuvent les aider à acquérir des compétences en matière de résolution de problèmes pour l’avenir.
Les événements liés au climat entraînant davantage de bouleversements et de perturbations au sein d’un grand nombre de groupes de population, il est important que les écoles et les systèmes élaborent des plans pour soutenir à la fois leurs élèves et leur personnel. Comme le montre la situation vécue dans les T.N.-O., la réponse se fait par étapes, depuis les besoins immédiats liés à l’évacuation jusqu’aux inquiétudes, préoccupations et conséquences à long terme d’une évacuation prolongée. Les circonscriptions scolaires sont encouragées à veiller à disposer de plans de « retour à l’école » qui comprennent des mesures de soutien à plus long terme en matière de santé mentale pour les élèves et les familles. Elles sont également encouragées à promouvoir des mesures à long terme pour faire face aux crises liées au climat qui sont de plus en plus fréquentes partout au pays.