Février, c’est le Mois de l’histoire des Noirs, et la SCP met en vedette des psychologues noirs contemporains tout au long du mois. Jude Mary Cénat, Ph. D., est le directeur du Laboratoire de Recherche Vulnérabilité, Trauma, Résilience et Culture (V-TRaC) de l’Université d’Ottawa et le directeur du Centre Interdisciplinaire pour la santé des Noir.e.s.
« Quel domaine peut être plus antiraciste que la psychologie? Nous sommes là pour soutenir les êtres humains, le développement de la personne et le bien-être des individus! Il n’y a pas de domaine qui puisse aborder les questions raciales aussi bien que la psychologie. »
Jude Mary Cénat, Ph. D., se passionne pour la lutte contre le racisme en psychologie et invite ses collègues du secteur de la santé mentale à se joindre au mouvement. Le Dr Cénat est professeur agrégé à l’École de psychologie de l’Université d’Ottawa et directeur du Laboratoire de Recherche Vulnérabilité, Trauma, Résilience et Culture (V-TRaC) de la même université. Il est en outre le directeur du Centre Interdisciplinaire pour la santé des Noir.e.s.
Le laboratoire V-TRaC a trois axes. Le premier s’intéresse aux aspects familiaux, sociaux et culturels des traumatismes et de la résilience. Le deuxième axe est consacré à la santé mentale mondiale. Le laboratoire mène un projet sur différents pays d’Afrique visant à documenter les problèmes de santé mentale liés aux maladies infectieuses, comme le virus Ebola et la COVID-19. Cet axe s’intéresse également à la violence fondée sur le sexe et la santé mentale dans les Caraïbes. Le troisième axe porte sur les disparités raciales en matière de santé et de services sociaux.
« Nous menons des projets sur la santé mentale des Noirs, et nous avons réalisé la première enquête sur la santé mentale des Noirs au Canada, dans le cadre d’un projet important financé par l’Agence de la santé publique du Canada visant à documenter la santé mentale des Noirs et à créer et mettre en œuvre des programmes liés à cette question. Nous nous penchons sur la surreprésentation des enfants noirs dans les organismes de protection de la jeunesse pour essayer de comprendre tous les facteurs qui sont à l’origine de cette situation et proposer des solutions. » En décembre 2021, le laboratoire V-TRaC a dévoilé 13 recommandations visant à réduire la surreprésentation des enfants noirs dans le système de protection de la jeunesse.
L’implication des services de protection de la jeunesse dans la vie de l’enfant est le principal facteur permettant de prédire si un jeune se retrouvera sans abri et si d’autres problèmes, comme la pauvreté et une faible scolarisation, apparaîtront plus tard. La surreprésentation des jeunes noirs dans ce système fait qu’ils subissent ces effets plus souvent que les autres groupes, ce qui entraîne un cycle perpétuel.
« Le premier facteur est que les professionnels des organismes de protection de la jeunesse ne sont pas formés pour prendre en compte les aspects culturels des familles noires. Nous réunissons beaucoup de groupes de discussion avec les intervenants, et l’une des choses qu’ils soulignent est qu’ils ne sont pas assez formés pour aborder les questions culturelles. Nous avons mené une étude qui a montré que, en 2020, plus de 48 % des programmes de travail social offerts dans les universités et les collèges de l’Ontario ne comptaient pas de cours obligatoire sur la culture. Il existe aussi des facteurs systémiques, comme la pauvreté dans les communautés noires, et la discrimination raciale que beaucoup d’enfants et de jeunes noirs ont vécue dans le système de protection de la jeunesse.
Mais ce n’est pas seulement le système de protection de la jeunesse comme tel qui est en cause, c’est aussi la société en général. Dans les écoles, par exemple, les enseignants sont plus susceptibles d’appeler les services de protection de la jeunesse en cas de problème avec un enfant noir qu’avec un enfant blanc. La société canadienne est une société “sans préjugés raciaux”; nous disons : “Je ne vois pas la couleur de votre peau, je vois vos problèmes et j’essaie de les régler”. Lorsqu’un enfant a des problèmes à l’école, on peut appeler ses parents pour le régler. Mais souvent, s’il s’agit d’un enfant blanc, l’enseignant aborde le problème directement avec les parents, alors qu’il risque d’appeler la protection de la jeunesse directement s’il s’agit d’un enfant noir. »
L’idée d’une société “sans préjugés raciaux” équivaut à celle d’une société “non raciste”. C’est un moyen passif d’aborder la race, où le fait de ne pas rire d’une blague raciste ou de ne pas se faire complice d’un recrutement discriminatoire est suffisant. Mais cela ne va pas assez loin pour corriger les inégalités raciales existantes. Le Dr Cénat espère que nous pourrons dépasser les notions de “non-racisme” et d’“absence de préjugés raciaux” pour devenir une société véritablement antiraciste au Canada.
« Comme l’a dit Ikram Kendi, il n’y a pas de “racistes” et de “non-racistes”. Il y a des “racistes” et des “antiracistes”. Parce que si vous êtes simplement “non raciste”, vous vous autorisez à observer des personnes se montrer racistes et vous vous rassurez en vous disant que vous n’êtes pas l’une d’elles. Vous ne posez pas de geste qui puisse contrer le racisme. Et ce n’est qu’en agissant contre le racisme que nous créerons une société antiraciste. »
C’est dans cet esprit que le Dr Cénat et son équipe ont créé le cours Comment fournir des soins de santé mentale antiracistes, qui donne droit à des crédits de formation continue approuvés par la SCP. Si les professionnels de la santé mentale, les universitaires des établissements d’enseignement supérieur et les dirigeants de tout le pays adoptent les principes de l’antiracisme, nous pourrons véritablement commencer à nous approcher d’un Canada inclusif où tout le monde se sent le bienvenu, où la discrimination et le profilage ne sont pas tolérés, où nous sommes tous sur un pied d’égalité et où nous avons tous les mêmes chances.
Le Dr Cénat a publié un article dans The Lancet dans lequel il explique que les soins de santé mentale antiracistes sont des soins proactifs, dans le sens où ils abordent les questions raciales sans attendre que les clients ou les patients les soulèvent. Les soins antiracistes vont au-delà des soins interculturels. Ils intègrent à la fois des aspects culturels et des éléments qui permettent de tenir compte des dommages causés par la discrimination raciale, le profilage racial et les microagressions raciales. C’est une façon de créer des espaces dans une société exempte de racisme.
« Le problème de la notion de société “sans préjugés raciaux” est le suivant. Prenons l’exemple d’un homme noir qui se présente dans votre bureau; vous vous dites : “Je ne vois pas la couleur de sa peau, je l’évalue et je lui offre des soins sans voir la couleur de sa peau.” Mais le fait est qu’il se peut que la couleur de sa peau fasse partie de son problème. Cet homme noir est peut-être déprimé, et l’un des facteurs qui expliquent sa dépression est la discrimination raciale qu’il vit au travail. Ou parce que ses enfants sont victimes de discrimination et qu’il n’a pas assez de pouvoir pour défendre ses enfants, ce qui lui rappelle qu’enfant, il a subi la même discrimination de la part des autres enfants et des enseignants. Lorsque vous vous dites que vous ne voyez pas la couleur de sa peau, vous ne traitez pas son problème, car la couleur de sa peau fait partie intégrante de son problème. »
Il ne s’agit pas seulement d’une situation hypothétique à laquelle un professionnel de la santé mentale pourrait être confronté, mais d’une situation étayée par des données. L’équipe du Dr Cénat a publié un article qui montre que les Canadiens noirs âgés de 15 à 40 ans qui connaissent de hauts niveaux de discrimination raciale sont trente-six fois plus susceptibles de présenter des symptômes graves de dépression que ceux qui connaissent des niveaux inférieurs de discrimination.
« Si vous recevez un membre de la communauté noire présentant des symptômes dépressifs, vous devez l’interroger sur la discrimination raciale et les traumatismes qu’il a subis ou qu’il subit. C’est ce que notre cours Comment fournir des soins de santé mentale antiracistes apprend aux cliniciens : ils sont amenés à s’interroger sur eux-mêmes pour se connaître davantage et pour prendre conscience de leurs propres préjugés, puis à évaluer les problèmes raciaux et les traumatismes dans leurs activités cliniques. Enfin, ils apprennent comment fournir des soins antiracistes aux enfants, aux adolescents et aux familles. »
Du 26 au 28 octobre de cette année, le Dr Cénat et son équipe tiendront la première conférence consacrée exclusivement à la santé mentale des Noirs, qui s’intitule « Black Mental Health in Canada: Overcoming Obstacles, Bridging the Gap ». Comme le dit le Dr Cénat, aucune profession ne dispose de meilleurs outils pour lutter contre le racisme que la psychologie. Et il est déterminé à mettre autant d’outils qu’il le peut dans cette boîte à outils.