Dr. Elizabeth Hartney
Dr. Mari Swingle
Dre Elizabeth Hartney et Dre Mari Swingle , Électrophysiologie quantitative
Aujourd’hui, le Mois de la psychologie met en vedette l’électrophysiologie quantitative, c’est-à-dire l’étude de l’activité électrique du cerveau. Nous avons parlé avec la Dre Elizabeth Hartney et la Dre Mari Swingle de la valeur réelle des détecteurs de mensonges et des bienfaits de l’ennui.
Électrophysiologie quantitative
Aucun mensonge détecté
Il y a une scène dans un épisode de Seinfeld où Jerry est interrogé à l’aide d’un détecteur de mensonges par un sergent de police qui ne le croit pas lorsqu’il lui dit qu’il n’a jamais regardé un épisode de Place Melrose. Grâce aux conseils de George (« ce n’est pas un mensonge si tu crois que c’est vrai! »), il s’en sort plutôt bien jusqu’à ce que l’anxiété prenne le dessus et qu’il craque sous la pression, admettant être vraiment accro à Place Melrose. Pour en savoir plus sur la « féminophobie » présente dans cette scène, voir l’article sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre présenté plus tôt dans le cadre du Mois de la psychologie!
Nous avons tous déjà vu des scènes semblables à la télévision et dans les films, où les gens ont des électrodes attachées à leurs doigts et à leurs mains, et où la machine quantifie les réponses données aux questions posées. Je pense que la plupart d’entre nous savent aujourd’hui que la machine ne mesure pas vraiment l’honnêteté mais plutôt l’anxiété. Et bien qu’elle ne soit pas très utile dans son but présumé – la détection des mensonges –, cette technologie est en fait très utile pour détecter l’anxiété! C’est le domaine de l’électrophysiologie quantitative.
La Dre Mari Swingle est psychologue clinicienne, chercheuse, auteure et conférencière. Elle a un doctorat en psychologie et une maîtrise en éducation, et elle a un certificat en neuroélectrophysiologie. Elle est la trésorière de la Section d’électrophysiologie quantitative de la SCP. Elle décrit la discipline de la façon suivante :
« Nous lisons l’activité électrique du cerveau, ce qui nous révèle beaucoup de choses. Nous pouvons lire à partir des niveaux supérieurs du cortex et obtenir beaucoup d’information, et nous pouvons aussi aller très profondément dans les structures et les circuits du cerveau. Il faut de l’équipement extrêmement perfectionné pour faire cela, et il faut des cliniciens extrêmement perfectionnés pour lire tout cela. »
La Dre Elizabeth Hartney, la présidente de la Section d’électrophysiologie quantitative, figure parmi ces cliniciens extrêmement perfectionnés. La Dre Hartney est psychologue agréée en Colombie-Britannique et elle possède une certification en neurofeedback et en biofeedback (deux formes courantes d’électrophysiologie quantitative).
« Nous sommes agréées par la BCIA, qui signifie Biofeedback Certification International Alliance. L’organisme offre la certification en biofeedback dans le monde entier. Le biofeedback englobe quelques sous-disciplines. Celle dans laquelle Mari et moi travaillons le plus étroitement est le neurofeedback EEG (électro-encéphalogramme) – mais nous pratiquons aussi le biofeedback avec capteurs périphériques, qui recueille d’autres informations biologiques pertinentes (p. ex., la réponse ectodermique – un mot compliqué pour désigner la sueur ou les cycles respiratoires) ailleurs dans le corps. Nous pourrions donc poser des électrodes sur le bout de vos doigts, sur la paume de votre main, pour lire la variabilité de la fréquence cardiaque ou la conduction cutanée. Il s’agit en fait de tout ce que l’on voit dans les détecteurs de mensonges à la télévision – qui ne sont pas vraiment efficaces pour détecter les mensonges, mais qui le sont pour détecter l’anxiété. L’anxiété est l’une des choses avec laquelle nous travaillons beaucoup. »
Le biofeedback est une thérapie qui permet de prendre conscience des fonctions de son propre corps et de mieux les contrôler. Il peut être utilisé pour aider les personnes présentant divers symptômes, allant du syndrome du côlon irritable aux effets secondaires de la chimiothérapie. La Dre Harney poursuit :
« Nous travaillons avec les gens pour obtenir des informations sur leur respiration, leur rythme cardiaque, leur tension artérielle, toutes sortes de phénomènes qui peuvent être psychosomatiques et impliquer à la fois l’esprit et le corps. Il y a des thérapeutes qui se spécialisent dans d’autres domaines, comme l’incontinence urinaire. Dans ce cas, l’approche utilisée vise à apprendre à l’individu à prendre le contrôle de son corps et de son cerveau – et dans certains cas, de sa vessie! »
Comme si les mots « électrophysiologie quantitative », « neurofeedback » et « biofeedback » n’étaient pas si rébarbatifs, les cliniciens spécialisés dans cette discipline ont tendance à en ajouter quelques-uns. Comme la physiologie, qui décrit aussi leur travail! Il y a la neurophysiologie, qui s’intéresse aux signaux du cerveau. Il y a aussi la physiologie générale, qui s’intéresse au corps en entier, y compris au cerveau. Selon les circonstances, les cliniciens spécialisés en électrophysiologie quantitative parleront uniquement du corps, uniquement du cerveau, ou des deux en même temps. La Dre Swingle parle des dimensions différentes que cela peut avoir.
« Beaucoup de recherches se sont faites sur ce que nous appelons la “cartographie cérébrale”. Alors, comment lire l’électricité et que nous dit-elle? Nous travaillons à partir de bases de données cliniques ou normatives. Les données normatives sont des mesures prises à partir du cerveau de personnes qui n’ont pas de symptômes ou de diagnostics déclarés. Elles ne souffrent pas de TDAH, de dépression, de psychose, etc. Nous regardons à quoi ressemble le cerveau dans ce cas, et nous pouvons ensuite traiter les personnes atteintes de TDAH, de dépression ou de psychose, et les aider à retrouver leur état normal (ou typique). Ce qu’Elizabeth et moi faisons principalement relève de l’autre volet, à savoir travailler à partir de bases de données cliniques. Cela signifie que nous mesurons l’activité électrique du cerveau des personnes qui souffrent réellement d’anxiété, d’insomnie, de difficultés scolaires, et ainsi de suite. Nous entraînons ensuite le cerveau à s’éloigner de cette mesure. »
Cela consiste principalement à exploiter les processus en cours dans certaines zones du cerveau et à en augmenter ou en diminuer la force. Cela peut être efficace pour traiter la dépression, l’anxiété, le TDAH et d’autres pathologies. Dans les situations où le cerveau lui-même a subi des dommages, le traitement est très différent.
Comme l’explique la Dre Swingle, « lorsque nous avons affaire à des AVC très graves ou des différences structurelles du cerveau, nous cherchons alors des connexions différentes [ce qui est souvent appelé neuroplasticité – la capacité du cerveau à compenser les parties endommagées en apprenant à utiliser d’autres parties pour accomplir les mêmes fonctions]. La majorité du travail que nous faisons vise à améliorer l’efficacité des connexions existantes. Certaines ne sont pas assez puissantes et d’autres, trop puissantes. Les travaux précurseurs de Davidson en sont un bon exemple. Il a étudié l’équilibre entre les lobes frontaux, le lobe gauche et le lobe droit. Il a découvert que si les activités électriques corticales étaient supérieures de plus de 15 % sur un lobe par rapport à l’autre, cela indiquait presque toujours une dérégulation émotionnelle. »
Montrer plus facilement le cerveau
Le domaine de l’électrophysiologie quantitative a beaucoup changé au cours des vingt dernières années, notamment en raison de l’avènement de l’ordinateur personnel et d’une plus grande puissance technologique. Pour une discipline qui dépend énormément de la technologie, cela a été une aubaine, mais a également rendu les pathologies, et leur traitement, beaucoup plus complexes. La Dre Harney réfléchit à cette évolution.
« En fait, les choses sont devenues plus faciles – mais aussi beaucoup plus compliquées – avec l’expansion des ordinateurs personnels. Ils ont rendu beaucoup plus divertissant le processus de réception et de renvoi de la rétroaction à partir du cerveau et vers le cerveau. Mais il y a là un problème. Avant d’avoir des ordinateurs, des psychologues comme nous utilisaient des lumières qui s’allumaient ou des sons qui résonnaient lorsque le cerveau accomplissait ce pour quoi nous l’entraînions. C’est la partie “rétroaction ou feedback” des termes “neurofeedback” ou “biolofeedback”. Et cela fonctionnait très bien! Aujourd’hui, nous avons des jeux d’ordinateur sophistiqués, des casse-tête et des vidéos qui s’allument et s’éteignent selon ce que fait le cerveau et nous disposons de tableaux impressionnants, qui nous permettent d’observer la fréquence des ondes cérébrales des gens à plusieurs endroits différents à la fois ».
La Dre Swingle donne un exemple précis du genre de travail qu’elle et la Dre Hartney pourraient réaliser pour un client. « Nous pourrions vouloir augmenter une onde cérébrale à un endroit particulier du cerveau dans un but bien précis. Par exemple, nous voulons augmenter les ondes thêta [un type d’ondes cérébrales] à l’arrière du cerveau parce que lorsque le niveau d’ondes thêta à l’arrière du cerveau est plus élevé, la tolérance au stress est plus grande. Nous pouvons utiliser cela pour aider à combattre l’insomnie, l’anxiété, les dépendances, tous des types de troubles qui pourraient bénéficier du calme du cerveau. Nous attachons une électrode à un endroit très précis et demandons à l’individu d’interagir avec un ordinateur. Une façon très simple de procéder est de faire sauter un criquet à l’écran lorsque les ondes thêta se déplacent par petits mouvements. Disons que nous avons affaire à une jeune personne qui souffre d’anxiété extrême et qui a besoin d’aide pour se calmer. Tout ce que nous faisons, c’est lui demander de faire sauter le criquet. Les petits enfants ne demandent pas comment on fait ça, pourquoi on fait ça. Ils disent simplement “OK”. Il est donc très facile de travailler avec les enfants! Dans les coulisses, nous observons les formes d’onde pures, les amplitudes et les rapports afin de voir la fréquence thêta monter, et nous manipulons les seuils pour faciliter ou compliquer le saut du criquet. Ce que nous faisons, c’est donner à cet enfant le contrôle pour augmenter les ondes thêta par lui-même. Quand on montre au cerveau un moyen plus facile de faire quelque chose, il le fait. »
Cultiver l’ennui
Pendant que je rédige le présent portrait, il y a derrière moi un téléviseur en sourdine. À l’écran, Équipe Canada est en train de jouer pour la médaille d’or contre les États-Unis aux Jeux olympiques. Mon téléphone est à côté de moi et émet constamment des notifications – Jonathan Stea vient tout juste de partager mon gazouillis, CTV Ottawa a lancé sur Instagram une vidéo en direct des manifestations au centre-ville d’Ottawa. Je n’ai pas joué à Words With Friends avec mes amis depuis trois semaines, et ils veulent que je sache que je leur manque. À tout moment, je dois arrêter de taper, car les notifications par courriel bloquent l’écran, et j’en ai reçu 14 depuis que j’ai commencé à écrire. La Dre Swingle a écrit un livre intitulé i-Minds: How Cell Phones, Computers, Gaming, and Social Media are Changing our Brains, our Behavior, and the Evolution of our Species qui traite justement de ce genre de choses.
« Un problème qui se pose dans notre discipline est que les choses sont devenues si sophistiquées qu’elles ne sont plus aussi efficaces, explique-t-elle. Un criquet qui saute pendant cinq minutes, c’est amusant. Un criquet qui saute pendant quarante minutes, c’est ennuyant! Et les enfants retournent à leurs jeux vidéo incroyablement évolués et spectaculaires. Nous obtenons donc de très bonnes données pendant la séance, mais le cerveau ne change pas de façon permanente. Lorsqu’on travaille avec des enfants, surtout ceux qui ont des difficultés d’attention, les écrans doivent être un peu ennuyants pour que le traitement fonctionne. C’est devenu une sorte de conflit intérieur dans notre discipline. »
Comment les choses ont-elles changé au cours des dernières décennies? Les enfants trouvent-ils le criquet ennuyant aujourd’hui parce qu’ils sont habitués à passer beaucoup de temps devant un écran interactif et à être davantage stimulés? S’ils avaient été exposés à cet exercice en 1988, auraient-ils trouvé le criquet divertissant plus longtemps? La Dre Swingle répond « oui » et « non ».
« Il y a 20 ans, on pouvait maintenir l’attention plus longtemps avec des stimuli moindres, mais c’était tout aussi ennuyant! Le problème est plus important maintenant parce que les nombreuses interactions avec la technologie influencent le développement du cerveau des enfants. Beaucoup d’enfants ne savent pas comment “supporter la monotonie” parce que tout se passe à un rythme effréné dans leur vie. Si l’enfant fait une heure de neurothérapie par semaine, mais consacre 20 heures aux jeux vidéo par semaine, le jeu l’emportera probablement. Et cela fait exactement le contraire de la neurothérapie; le cerveau s’entraîne à ne répondre qu’à l’excitation. »
Si vous vous entraînez sur un tapis roulant ou un rameur pendant 30 minutes par jour, c’est sûrement très bon pour vous, mais si vous passez le reste de la journée à ne manger que de la poutine et des coupes au beurre d’arachide, les effets du rameur seront probablement très diminués, et il est peu probable que vous obteniez les résultats que vous recherchez.
En même temps, si vous allez au centre de conditionnement physique tous les jours pendant trois mois et travaillez avec un entraîneur personnel pour trouver le programme d’entraînement qui vous convient, vous serez peut-être capable de maintenir le niveau de forme physique que vous désirez par la suite en n’y allant qu’une fois par semaine. C’est l’objectif de l’électrophysiologie – que les changements opérés dans votre cerveau fassent partie de vous-mêmes et se maintiennent après le processus.
Selon la Dre Hartney, « l’objectif ultime, c’est que votre client apprenne à changer d’état sans l’aide de la rétroaction. Or, nous constatons que les jeunes voient la thérapie par biofeedback comme une forme de divertissement et ne comprennent pas nécessairement qu’il s’agit d’un processus éducatif. Nous essayons de leur apprendre à changer d’état, mais parce qu’ils sont inondés de gadgets et d’animations, il est beaucoup plus difficile pour eux de généraliser ce qu’ils ont appris pendant une séance hors de l’environnement thérapeutique. »
Sur la valeur de l’ennui
Chaque vendredi soir, ma famille et moi faisons une soirée de jeux sur Zoom. Nous jouons à un jeu sur nos téléphones et nous partageons tous un même écran. Les progrès rapides de la technologie réalisés au cours des dernières années ont rendu possibles des choses extraordinaires, et c’est formidable de pouvoir nous retrouver de cette manière, en particulier pendant une pandémie où d’autres méthodes de communication ne sont pas nécessairement disponibles. Mais je remarque que les enfants abordent cela un peu différemment des adultes. Pendant que nous attendons le chargement du jeu, ils jouent à un autre jeu sur leur téléphone. Ou, bien que ce ne soit pas leur tour, ils distribuent les cartes sur la table de jeu ici, à la maison; ils peuvent donc jouer à un autre jeu pendant les 90 secondes d’interruption du jeu. La Dre Hartney explique pourquoi cela est de plus en plus courant.
« Nous sommes d’un âge où le fait de s’ennuyer était normal lorsque nous étions enfants. Si nous allions voir nos parents pour nous plaindre de nous ennuyer, ils nous donnaient une corvée ou nous disaient de nous occuper par nous-mêmes. Nous avons grandi avec l’idée que les choses étaient un peu ennuyantes et que nous devions chercher nous-mêmes comment nous amuser. La génération actuelle n’a tout simplement pas le même genre de référence. »
Comme la Dre Hartney, la Dre Swingle adore l’ennui!
« Toute la créativité et toutes les innovations émanent de l’ennui. Si vous ne vous ennuyez pas, vous n’avez pas l’occasion de développer votre curiosité, vous n’avez pas le temps de remarquer les choses par vous-même, de les assimiler, de voir les modèles, etc. Veuillez noter que la curiosité personnelle (interne) (générée par l’ennui) et l’exploration qui suit sont très différentes de la curiosité générée par un divertissement (externe) (générée par une excitation externe ou un divertissement externe plutôt que par l’éveil interne). Nous allons bien au-delà de nos travaux en électrophysiologie quantitative, mais ces éléments sont intrinsèquement liés. »
Avant d’aller trop loin au-delà de l’électrophysiologie quantitative, nous allons en rester là.
Alors, ennuyez-vous, les amis!