
Liisa Galea
La Dre Liisa Galea est responsable scientifique du programme CAMH (Centre de toxicomanie et de santé mentale) womenmind™. Il s’agit d’une communauté de philanthropes, de leaders d’opinion et de scientifiques qui se consacrent à la lutte contre les disparités entre les sexes dans le domaine des sciences et à mettre les besoins et les expériences uniques des femmes au premier plan de la recherche sur la santé mentale.
Womenmind™ Liisa Galea
« L’agent de location sait comment *accepter* une réservation, mais il ignore comment garantir que la voiture sera bien réservée, ce qui est la partie la plus importante du processus. » [traduction]
- Seinfeld, ‘The Alternate Side’, 1991
Les National Institutes of Health (NIH) aux États-Unis ont introduit en 1993 une politique* en vertu de laquelle les propositions de recherche impliquant des sujets humains dans le cadre d’essais cliniques doivent prévoir l’inclusion de femmes, de membres de minorités et d’enfants dans la recherche proposée. C’est donc précisément ce qu’ont fait les scientifiques qui ont demandé des subventions de recherche. Ils ont inclus les femmes, les membres de minorités et les enfants dans leurs études. Mais à quelle fin?
Il est facile d’inclure les femmes, les membres de minorités et les personnes de la diversité de genre, mais si l’on ne cherche pas à savoir si cela affecte différemment les résultats chez ces personnes, on ne fait que la moitié du travail – et l’on passe à côté de ce qui fait l’importance de l’inclusion. Or, depuis l’introduction de cette politique, très peu de recherches ont fait cette distinction.
*Il convient de souligner qu’il est très difficile, à l’heure actuelle, de déterminer exactement quand les NIH ont institué cette politique, ou quels en ont été les résultats, étant donné que la nouvelle administration présidentielle américaine a expurgé ses sites Web et ses ressources de tout langage faisant référence aux « minorités » (minorities), à la « disparité » (disparity), aux « préjugés » (bias), et même aux « femmes » (women).
La Dre Liisa Galea dirige le Women’s Health Research Cluster au Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH). Elle est la rédactrice en chef principale de Frontiers in Neuroendocrinology, la présidente sortante de l’Organization for the Study of Sex Differences et la co-vice-présidente de la Canadian Organization for Gender and Sex Research. Elle est également la responsable scientifique de l’initiative womenmind™ du CAMH et une inconditionnelle de Seinfeld.
« J’ai grandi à une époque où je devais porter une jupe à l’école parce que j’étais une fille. Je suis très reconnaissante à mes parents de m’avoir dit que j’étais intelligente et que je pouvais faire tout ce que je voulais... sauf peut-être devenir pape! On m’a dit que j’étais différente parce que j’étais une fille, mais cela ne me dérangeait pas – j’étais simplement curieuse de comprendre pourquoi les gens pensaient ainsi. Lorsque je suis entrée à l’université, je me suis intéressée de près à la question des cerveaux féminins et masculins et j’ai voulu en savoir plus sur les différences entre les deux et sur ce que cela pouvait représenter pour notre santé ».
womenmind™ est une communauté de philanthropes, de leaders éclairées et de scientifiques qui se consacrent à la lutte contre les disparités entre les sexes dans le domaine scientifique, et qui cherchent à placer les besoins et le vécu propres aux femmes au premier plan de la recherche en santé mentale. La Dre Galea et la Dre Daisy Singla, une psychologue clinicienne spécialisée en santé mentale périnatale, sont les scientifiques qui, au sein de womenmind™, effectuent une grande partie de ce travail important.
Les disparités entre les sexes dans les soins de santé sont réelles et elles sont considérables, en particulier dans le domaine de la santé mentale. Les diagnostics de problèmes de santé mentale peuvent prendre jusqu’à deux ans de plus pour être établis lorsqu’il s’agit de femmes, comparativement aux hommes. Dans la sphère publique, on a l’impression que les hommes ne parlent pas autant de leurs émotions que les femmes et qu’ils sont moins enclins à chercher de l’aide quand ils éprouvent des problèmes psychologiques. Malgré cela, si l’on considère uniquement les troubles mentaux, le retard dans l’établissement d’un diagnostic est encore de plus de deux ans dans le cas des femmes. Ce retard peut interférer avec les plans de traitement – si les symptômes donnent lieu à un mauvais diagnostic ou sont ignorés, le traitement requis n’est pas dispensé; or, nous savons tous que des interventions précoces permettent d’obtenir de meilleurs résultats cliniques.
Une étude réalisée par le Forum économique mondial a montré que, à l’échelle mondiale, les femmes passent 25 % de plus de leur vie en mauvaise santé que les hommes. La Dre Galea pense que cela est dû en partie au fait que les sciences de la santé sont depuis toujours dominées par des hommes qui étudient les hommes.
« En ce qui concerne la santé mentale en particulier, de nombreuses raisons expliquent les retards de diagnostic, mais je crois que l’une des raisons principales est que la plupart de nos connaissances médicales – y compris les symptômes figurant sur les listes de diagnostic – sont basées sur l’expérience des hommes. À tel point que nous qualifions souvent les symptômes des troubles mentaux chez les femmes d’« atypiques ». Nous utilisons beaucoup le terme « atypique » dans le contexte de la neurodiversité – autisme, TDAH, etc. De plus, le nombre d’hommes chez qui ces problèmes de santé sont diagnostiqués est plus élevé. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à recevoir un diagnostic de dépression, mais le terme « atypique » est également appliqué à la dépression chez les femmes. Si deux fois plus de femmes que d’hommes sont déclarées dépressives, en quoi leurs symptômes sont-ils « atypiques »? Selon moi, c’est parce que nos échelles ont été développées il y a longtemps, en tenant compte des résultats obtenus chez les hommes et de ce que vivent les hommes.
En conséquence, les prestataires de soins de santé n’acquièrent pas suffisamment de connaissances sur les disparités entre les sexes et les genres dans les manifestations et les symptômes de la maladie. Cela a de réelles conséquences pour les femmes dans le système de santé, mais aussi pour les organismes de financement. Chercheuse dans ce domaine depuis 28 ans, le Dr Galea reçoit de nombreux commentaires de la part de rédacteurs en chef et d’organismes de financement disant que *ce [sujet centré sur les femmes]* n’est pas un sujet très important à étudier parce qu’il ne concerne « qu’un sous-ensemble de la population. »
La Dre Galea et son équipe ont effectué une revue de la documentation, en se limitant aux études hommes/femmes en neurosciences et en psychiatrie. 68 % des études utilisaient des participants masculins et féminins, mais seulement 5 % d’entre elles cherchaient à déterminer si le sexe avait une incidence. Comme le dit la Dre Galea, « il peut y avoir deux femmes et huit hommes dans le groupe témoin, mais l’inverse dans le groupe de traitement, et il est impossible d’effectuer une analyse adéquate parce que la taille de l’échantillon n’est pas suffisante pour voir si cela a eu un impact. »
27 % des études portaient uniquement sur les hommes et 3 % uniquement sur les femmes. L’équipe de la Dre Galea a ensuite examiné les subventions canadiennes, ce qui a conduit à des pourcentages similaires. En 2023, la recherche sur la santé mentale des femmes représentait moins de 1 % du financement des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), le principal organisme fédéral responsable du financement de la recherche en santé et en médecine au Canada.
Le financement de la recherche est malheureusement une question brûlante en ce moment, car le nouveau gouvernement américain tente d’interrompre le financement des NIH pour tout ce qui lui semble associé au « wokisme ». Cela a eu un impact sur de nombreux collègues de la Dre Galea et sur le travail qu’ils effectuent, d’autant plus que les coupes semblent avoir été décidées de la manière la plus préjudiciable et la moins rationnelle qui soit. La nouvelle administration a cherché les mots-clés qu’elle n’aimait pas et a interrompu le financement de tout ce qui contenait des mots tels que « bias » (parti pris), « diversity » (diversité) ou « environment » (environnement). Les mots « trans » (trans), « non-binary » (non-binaire), « female » (féminin) et « woman » (femme) ont également été ciblés.
Cela pourrait entraîner la fin d’études portant sur des sujets tels que le microbiome intestinal, dont l’une des mesures est la diversité alpha et la diversité bêta, c’est-à-dire la variété de bactéries qui vivent dans l’intestin humain. Des études dans le domaine de l’électricité utilisant des tubes à vide qui requièrent un courant appelé « bias » (polarisation). Et des études portant sur la santé des femmes. La Dre Galea estime que cette situation est encore plus dangereuse qu’il n’y paraît, car cesser d’étudier la santé des femmes a également des répercussions sur les hommes. Elle donne l’exemple suivant :
« Le lazaroïde est un médicament qui a été découvert pour le traitement des accidents vasculaires cérébraux. Il faisait des miracles pour les personnes ayant subi un accident vasculaire cérébral (AVC). Il a d’abord été découvert en phase préclinique, sur des souris et des rats, avant de faire l’objet d’essais cliniques randomisés à double insu, notre étalon de référence. Il s’avère que la plupart des travaux effectués en phase préclinique l’ont été chez des hommes. Le premier essai clinique a été réalisé sur des hommes, car les hommes sont plus susceptibles d’être victimes d’un AVC plus tôt dans leur vie (mais les femmes sont plus nombreuses à subir un AVC plus tard dans leur vie). Le médicament a échoué aux essais cliniques de phase 3, qui comprenaient des femmes, et il n’a pas été mis sur le marché. Cela a entraîné la faillite de l’entreprise pharmaceutique. Mais des analyses secondaires ont révélé que les lazaroïdes font des merveilles chez les hommes, mais pas chez les femmes. En fait, chez les femmes, ils auraient pu aggraver les choses. Mais il s’agit d’un médicament qui n’est plus sur le marché et qui pourrait faire des merveilles pour la santé des hommes! N’est-il pas dans notre intérêt collectif de découvrir les médicaments qui fonctionnent le mieux dans les différentes populations? »
Ce bouleversement pourrait avoir des conséquences dévastatrices pour l’avenir de la santé des femmes, un domaine qui connaît déjà des problèmes graves. Pensons à la ménopause. C’est une réalité qui touchera 50 % de la population. Pourtant, 0,5 % de toutes les études en neurosciences, et dans le domaine de la santé du cerveau en général, portent sur la ménopause. Les médecins reçoivent environ de une à trois heures de formation sur la ménopause et ses effets sur la santé.
Lorsque les femmes atteignent la ménopause et ont des problèmes importants, elles sont envoyées chez des spécialistes, les gynécologues. Mais seulement 38 % des programmes de gynécologie (aux États-Unis) couvrent le sujet. Ainsi, plus de la moitié des femmes qui sont dirigées vers des spécialistes pour ce genre de problème se retrouvent face à une personne qui n’a pas été formée dans ce domaine et qui n’a probablement appris que très peu de choses sur le sujet.
Comme le dit la Dre Galea, « chacune doit devenir sa propre spécialiste, mais il nous faut des recherches approfondies pour savoir ce que nous pouvons faire pour atténuer nos symptômes. Laura Gravelsin (l’une de mes chercheuses postdoctorales) et moi-même venons de faire accepter un article intitulé ‘One Size Does Not Fit All: Type of Menopause and Hormone Therapy Differentially Influence Brain Health’, car il existe de nombreuses hormonothérapies et de nombreuses ménopauses, et nous devons déterminer celle qui nous convient le mieux. »
Les scientifiques qui étudient les questions relatives aux femmes ne sont pas tous des femmes, et toutes les femmes ne sont pas spécialisées dans cette problématique. Mais avoir plus de filles qui s’orientent vers les disciplines scientifiques et qui sont soutenues tout au long de leur parcours ne peut pas faire de mal. C’est un autre des objectifs de womenmind™. La Dre Galea souligne le fait qu’il y a plus de femmes psychologues et médecins que d’hommes. Pourtant, au rang de doyen, de directeur ou de superviseur, la proportion de femmes diminue constamment au fur et à mesure que l’on monte les échelons, par rapport à celle des hommes.
« Les filles s’intéressent très tôt à tous les domaines scientifiques, dit-elle, mais à mesure que le temps passe et que nous évoluons dans notre carrière, cette disparité commence à se faire sentir. Au niveau universitaire, on voit plus de femmes et de filles en sciences, mais l’écart se creuse au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie, au niveau des études supérieures puis au niveau des professeurs adjoints. »
Dans cette optique, womenmind™ dispose d’un solide programme de mentorat pour toutes les femmes et les scientifiques issus de la diversité de genre, qui a donné des résultats remarquables. Environ 60 % des femmes et des membres de la diversité de genre scientifiques qui travaillent au CAMH ont participé au programme de mentorat, et le taux d’approbation est stupéfiant : toutes les personnes qui ont participé au programme de mentorat ont dit qu’elles le recommanderaient et qu’elles souhaitaient qu’il se poursuive.
Et il se poursuivra, grâce à la passion et à la détermination de jeunes scientifiques et de vétérans comme la Dre Galea. En plus de womenmind™, elle a son propre laboratoire qui étudie l’influence des hormones (principalement les œstrogènes) sur le cerveau. Ses travaux se focalisent sur les troubles psychiatriques liés au stress, tels que la dépression, ainsi que sur la maladie d’Alzheimer. La Dre Galea dirige également le Women’s Health Research Cluster, un réseau de scientifiques qui s’intéressent à l’application des connaissances et dont les activités semblent très amusantes! Le réseau vient de tenir un événement à Toronto appelé « Galentine’s Day : Love your brain » qui visait à sensibiliser les filles, les femmes et toutes les personnes qui s’identifient comme telles à l’effet des changements hormonaux, comme la puberté et la ménopause, sur le cerveau.
Le vécu des femmes et des jeunes filles qui connaissent des changements hormonaux est varié et diversifié. Le chemin qui conduit à l’adolescence, ou à la ménopause, est rarement linéaire. Rien dans la vie n’est linéaire! Même le parcours de la Dre Galea qui l’a amenée à faire son travail actuel (et à rejoindre la communauté d’adeptes de Parks and Rec) a connu de nombreux rebondissements.
“« J’ai commencé par le génie, et j’ai suivi le cours de psychologie 101 avec Susan Lederman, dit-elle. Elle se consacre au domaine de la perception. Elle a déclaré : ‘Je suis la première Canadienne, la première femme et la première psychologue à être invitée à participer à un groupe d’experts de la NASA’. Elle avait été invitée parce que les astronautes se plaignaient de ne rien sentir à travers leurs gants lorsqu’ils effectuaient une sortie dans l’espace. J’ai été séduite. Je me suis dit : « C’est vraiment intéressant, c’est ce que je veux apprendre ». Ce n’est pas du tout ce que j’ai fini par faire, mais le résultat a été que j’ai suivi davantage de cours de psychologie. J’ai fini par étudier le cerveau des femmes et je vais continuer à le faire!
Quelqu’un doit le faire. Et quelqu’un d’autre doit absolument soutenir les personnes qui le font en faisant de cette mission une priorité afin qu’elles puissent continuer à le faire.