Développement adulte et vieillissement
« Ce n’est pas votre faute. C’est votre cerveau qui vous laisse tomber. »
La perte de mémoire est encore, à ce jour, fortement stigmatisée. C’est pourquoi la Dre Colleen Millikin utilise cette phrase lorsqu’elle parle à des personnes âgées atteintes d’un trouble cognitif léger ou de démence.
« Les gens ne le prennent pas personnellement quand ils marchent et que leur genou lâche. Mais ils réagissent différemment lorsqu’il s’agit de leur cerveau. Si notre cerveau nous lâche et que nous n’arrivons pas à trouver tel mot ou tel nom, nous avons tendance à nous en vouloir beaucoup plus que si c’est notre genou qui nous lâche. »
La Dre Millikin est neuropsychologue clinicienne au programme de psychologie clinique de la santé de l’Office régional de la santé de Winnipeg et professeure adjointe au département de psychologie clinique de la santé de la Faculté des sciences de la santé Rady de l’Université du Manitoba. Elle est la présidente de la Section du développement adulte et vieillissement de la SCP. Elle travaille principalement dans le système public, où elle évalue les personnes âgées présentant un risque de trouble cognitif léger ou de démence. Le terme « trouble cognitif léger » (TCL) est utilisé pour décrire les problèmes de mémoire qui se situent entre le vieillissement normal et la démence. Comparativement à d’autres personnes du même âge, les personnes atteintes d’un TCL présentent un risque plus élevé de démence à long terme.
« Beaucoup de choses peuvent interférer avec la mémoire sans que ce soit la maladie d’Alzheimer ou des problèmes cérébraux. La douleur chronique et les médicaments pour la traiter, les problèmes de sommeil, le stress, l’ESPT, en fait, plein de choses. Le simple fait de penser que vous pourriez être atteint de démence peut être une source d’anxiété, et l’anxiété peut rendre plus difficiles la concentration et la mémorisation des informations. »
Le domaine de la psychologie du développement à l’âge adulte et du vieillissement est très vaste. Il s’agit de l’étude, de l’évaluation et de la prise en charge du fonctionnement physique, psychologique, cognitif, émotionnel et social des personnes âgées de 18 ans et plus, ainsi que du vieillissement sous toutes ses formes, incluant ses étapes, ses joies et ses difficultés. La Dre Nasreen Khatri est psychologue du développement de l’adulte et neuroscientifique à l’Institut de recherche Rotman, un institut de neuroscience cognitive entièrement affilié à l’Université de Toronto. Elle est à la fois agréée comme psychologue clinicienne pour adultes (18 à 65 ans) et comme gérontologue (65 ans et plus). Elle est la trésorière de la Section du développement adulte et vieillissement de la SCP.
« Plus précisément, j’étudie les répercussions de la dépression et de l’anxiété sur le cerveau, à partir de l’âge de 30 ans et jusqu’à un âge avancé. La principale idée fausse sur le vieillissement est que le vieillissement est une catégorie d’âge ou un état statique. Ce n’est pas le cas. Il commence dès la conception et est un processus dynamique et continu. Vieillir, c’est tout simplement un autre mot pour dire « vivre »!
La Dre Millikin parle beaucoup de l’étendue du domaine du vieillissement et de grande diversité du travail qu’y effectuent les psychologues. Sur le déficit cognitif, qui est sa spécialité, elle dit :
« L’âge est le facteur de risque le plus important de troubles cognitifs, mais j’ai connu des personnes de 90 ans avec un cerveau en très bonne santé et des personnes dans la cinquantaine atteintes de démence. Il n’y a pas de cause unique aux troubles cognitifs. Dans la plupart des cas, il y a une interaction entre les gènes de la personne et d’autres problèmes de santé. »
Ces problèmes de santé sont mieux compris depuis quelques années, en grande partie grâce aux psychologues qui travaillent dans ce domaine.
« Nous savons maintenant que l’activité physique favorise la croissance de nouvelles cellules dans la partie du cerveau qui influence l’humeur et la mémoire. La meilleure chose à faire pour votre cerveau et pour bien vieillir est de pratiquer des activités physiques. Nous savons également désormais que les personnes qui ont des antécédents de dépression non traitée dans la quarantaine ou la cinquantaine ont presque deux fois plus de risques de développer une démence plus tard dans leur vie comparativement à celles qui n’en ont pas. La dépression est tout à fait traitable au moyen d’une variété de traitements fondés sur des données probantes. Actuellement, la démence est incurable. Par conséquent, il ne faut laisser personne s’engager sur la voie du déclin cognitif et de la démence en raison d’une dépression non traitée. L’évaluation et le traitement opportuns de la dépression aujourd’hui peuvent prévenir la démence plus tard. En d’autres mots, prendre soin de sa santé mentale aujourd’hui pourrait sauver son cerveau demain! »
Idéalement, les interventions visant à promouvoir la santé du cerveau devraient commencer le plus tôt possible dans la vie. Toutefois, il est prouvé que le fait de modifier son mode de vie peut réduire le risque de développer une démence, même chez les personnes présentant déjà un déficit cognitif léger. C’est ce que la Dre Millikin et sa collègue, Lesley Koven, une gérontologue clinicienne, cherchaient à aborder lorsqu’elles ont mis sur pied, en 2013, la Early Cognitive Change Clinic for Older Adults, un programme d’évaluation et d’intervention pour les personnes âgées présentant un déficit cognitif léger. La clinique propose une évaluation pour identifier les personnes souffrant de troubles cognitifs légers ainsi qu’un entretien pour évaluer les besoins psychologiques du conjoint de la personne concernée ou d’un autre membre de la famille ou ami proche.
« Nous offrons un programme d’éducation thérapeutique aux personnes atteintes de TCL et aux membres de leur famille afin de les aider à se familiariser avec le TCL, les stratégies permettant de contourner certains problèmes de mémoire et les habitudes de vie qui favorisent la santé du cerveau. L’exercice et l’alimentation sont bien sûr importants, mais nous constatons également que le sommeil joue un rôle majeur. Le sommeil est très important pour la santé du cerveau, mais les personnes âgées ont tendance à avoir des problèmes de sommeil à un niveau plus élevé. L’un des problèmes vient du fait que le manque de sommeil est mauvais pour la mémoire, mais aussi que beaucoup de médicaments sur ordonnance ou en vente libre que les gens prennent pour dormir peuvent interférer avec une substance chimique présente dans le cerveau qui est importante pour la mémoire. Heureusement, il est possible de modifier son comportement pour mieux dormir et l’insomnie peut être traitée par des interventions psychologiques! »
En outre, les membres de la famille des personnes atteintes de troubles cognitifs légers peuvent également ressentir un stress important. Encore une fois, la Dre Millikin insiste sur les répercussions que peut avoir une intervention précoce.
« Nous reconnaissons de plus en plus les besoins des aidants. Nous savons depuis longtemps que les membres de la famille des personnes atteintes de démence peuvent ressentir un stress important. Même lorsque le trouble cognitif est léger, les membres de la famille ou les amis proches peuvent tout de même éprouver un certain stress dû à la situation, même s’ils ne se considèrent pas comme des « aidants ». Donc, si l’on souhaite intervenir pour aider un membre de la famille à gérer son stress, on doit commencer le plus tôt possible.
Il existe de nombreuses autres facettes de la psychologie du vieillissement et du développement de l’adulte, toutes aussi importantes les unes que les autres. La Dre Millikin en donne quelques exemples.
« La Dre Kristin Reynolds, qui est professeure adjointe aux départements de psychologie et de psychiatrie de l’Université du Manitoba, a mis sur pied un programme de soutien téléphonique pour aider les personnes souffrant de solitude pendant la pandémie. Le président sortant de la Section du développement adulte et vieillissement, le Dr Marnin Heisel, fait des recherches à l’Université Western pour trouver des façons de réduire le risque de suicide chez les hommes âgés. La Dre Norah Vincent, une collègue de mon département, a élaboré des programmes de thérapie cognitivo-comportementale en ligne pour traiter l’insomnie. »
La Dre Khatri affirme que la pandémie a eu un impact profond sur les personnes âgées, allant de la santé mentale (p. ex., dépression et anxiété) jusqu’à l’aggravation des problèmes systémiques qui affectent depuis longtemps les soins de longue durée.
« Elle a mis en lumière la façon dont nous traitons nos aînés et la façon dont nous devrions les traiter. Le moment est venu de repenser les politiques de soins, et les politiques gouvernementales et sociales qui ont un impact sur les Canadiens vieillissants. Le Canada est une nation vieillissante et, dans le futur, nous devrons appliquer des politiques systémiques qui optimiseront la santé de notre cerveau (santé mentale et cognitive) et nous permettront de vieillir dans la dignité, l’autonomie et le bonheur. L’avenir de la santé du cerveau au Canada est entre nos mains, et l’un des meilleurs moyens de prédire notre avenir est de le créer.
Enfin, la pandémie nous a appris que nous devons nous concentrer sur notre mode de vie personnel (alimentation, exercice, repos, liens sociaux) à tout âge pour préserver notre santé physique, émotionnelle et cognitive et notre épanouissement. »
Autrement dit, il existe de nombreuses façons d’empêcher votre cerveau de vous laisser tomber. Cela étant dit, cela pourrait arriver quand même. Et si c’est le cas, il est important de se rendre compte que ce n’est pas votre faute.