Psychologie éducationnelle et scolaire
« C’est comme apprendre aux enfants à nager bien avant qu’ils n’aient la chance de plonger dans la partie profonde de la piscine. »
La Dre Maria Kokai est une psychologue scolaire qui a passé 30 ans au Toronto Catholic District School Board, dont les 14 dernières années comme chef du service de psychologie du conseil. Maintenant à la retraite, elle est la présidente désignée de la Section de la psychologie éducationnelle et scolaire de la SCP. Au cours de sa carrière, elle a constaté un changement dans le domaine de la psychologie scolaire, qui est passée d’une approche axée sur les évaluations et l’intervention auprès des enfants en difficulté à un modèle plus axé sur la prévention, mais cette évolution est trop lente.
« La COVID a vraiment attiré l’attention sur l’importance de la santé mentale et de son traitement sur une base régulière et cohérente. Elle a également mis en lumière les inégalités qui ont résulté des nombreuses fermetures d’écoles et des autres conséquences de la pandémie. Selon moi, une leçon à tirer, pour nous et pour les écoles, est de s’assurer que la santé mentale est abordée de manière préventive, sur une base régulière et intentionnelle – comme nous l’avons fait avec la lutte contre l’intimidation – afin que les enfants apprennent à faire face aux difficultés, à établir des relations et à résoudre les problèmes. Ils peuvent ensuite appliquer ces compétences dans des situations difficiles (ce qu’a été la COVID) afin de s’adapter plus facilement et avec moins de stress.
La psychologie scolaire au Canada est très différente selon les endroits. À certains endroits, les psychologues scolaires offrent toute la gamme de services qu’ils sont en mesure de fournir, tandis que dans d’autres, ils se concentrent sur les évaluations et les problèmes. Ce que nous aimerions voir dans la profession, ce serait de pouvoir fournir des services équitables et accessibles à tous les étudiants, quel que soit leur lieu de résidence, quelle que soit la province, la ville ou la région rurale. Dorénavant, tout le monde devrait avoir accès à des services de façon équitable. Nous ne sommes pas encore là. »
L’accent mis sur la prévention est un élément que les psychologues scolaires souhaitent voir dans tous les conseils scolaires du Canada. Des progrès importants ont été réalisés dans ce sens au cours des 10 dernières années environ, mais il reste encore beaucoup de travail à faire. Maria Rogers est professeure à l’École de psychologie de l’Université d’Ottawa. Elle est la présidente de la Section de la psychologie éducationnelle et scolaire de la SCP.
« Cela met en évidence des problèmes systémiques plus vastes dans ce domaine, dit-elle. Il n’y a pas assez de psychologues scolaires, et il n’y en a pas assez qui sortent des programmes d’études supérieures au Canada. Il n’y a pas assez de ressources affectées à la santé mentale dans les écoles. Nous voulons vraiment adopter une approche préventive en matière de santé mentale qui favorise la réussite scolaire. Certains conseils et districts sont plus en mesure que d’autres (avec de meilleures ressources) d’adopter une approche préventive. Cependant, de nombreux districts scolaires de plus grande taille travaillent selon une approche attentiste, où l’on ne réagit que lorsque l’élève est en échec scolaire, ce qui est vraiment regrettable. Il existe des parallèles avec notre système de soins de santé, où nous attendons souvent que quelqu’un soit vraiment malade pour la prise en charge au lieu de prendre des mesures préventives en amont. »
Certains des retards observés dans la mise en œuvre de programmes de prévention proviennent d’un malentendu fondamental dans le public sur ce que font les psychologues scolaires. Dans l’esprit de beaucoup de gens, la psychologie scolaire se résume aux tests et aux évaluations psychopédagogiques. Il s’agit là d’une description plutôt étroite et inexacte de la psychologie scolaire et de ce à quoi les psychologues scolaires sont formés pour contribuer au système d’éducation. Cette idée trouve son origine dans un modèle beaucoup plus ancien du travail de la psychologie scolaire, qui a vu le jour vers le milieu du XXe siècle. À l’époque, de nombreuses écoles classaient les élèves en fonction de leurs capacités et de leurs déficiences, et elles demandaient aux psychologues scolaires de participer à cette classification en évaluant les élèves pour déterminer leur admissibilité à divers programmes. Toutefois, les psychologues scolaires possèdent un éventail beaucoup plus large de compétences et d’expertise. Et une mauvaise compréhension ou une sous-utilisation de cette expertise peut priver les étudiants d’un large éventail de services qu’ils pourraient autrement recevoir. La Dre Kokai précise.
« Une grande partie du public pense encore que les psychologues scolaires s’occupent principalement des élèves en difficulté. C’est l’une des raisons pour lesquelles les gens parlent beaucoup des listes d’attente pour obtenir une évaluation, qui sont interminables et constituent un problème récurrent. Si les psychologues scolaires avaient la possibilité de se concentrer sur des mesures préventives – prévention et promotion de la santé mentale, et dépistage et intervention précoces des problèmes potentiels d’apprentissage et de santé mentale –, ces problèmes graves pourraient souvent être évités et il serait moins nécessaire de les évaluer. Nous préconisons une gamme complète de services de psychologie scolaire et c’est justement pour cette raison – en passant des problèmes proprement dits à une approche plus préventive, nous n’attendons pas que ces problèmes s’aggravent. »
Certaines régions ont adopté plus rapidement que d’autres une approche axée sur le bien-être des élèves, et la Dre Kokai cite un endroit où cela fonctionne.
« Un organisme appelé Santé mentale en milieu scolaire Ontario, qui joue un rôle consultatif auprès du ministère de l’Éducation et sert de ressource aux conseils scolaires, en est un bon exemple. Il y a environ 10 ans, le ministère de l’Éducation de l’Ontario a ajouté le bien-être des élèves à ses objectifs, en plus de la réussite scolaire. Cela signifie que les écoles sont désormais tenues de se concentrer sur le bien-être et la santé mentale des élèves et de s’occuper des problèmes liés à la santé mentale. Au cours de cette décennie, beaucoup de progrès ont été réalisés en général, et certains progrès ont été accomplis en ce qui concerne l’utilisation des compétences des psychologues scolaires pour soutenir les domaines de la prévention et de l’intervention précoce. »
Le plus grand changement en psychologie scolaire qui s’est opéré au cours des 30 dernières années est la réduction de l’écart entre la recherche et la pratique. Nous avons assisté à un effort systématique accru pour transférer les connaissances des chercheurs aux praticiens, afin de garantir que les psychologues et les autres professionnels de l’éducation qui travaillent avec des enfants puissent accéder aux résultats de la recherche et appliquer ces connaissances dans le cadre de pratiques fondées sur des données probantes destinées aux enfants dans les écoles. La Dre Rogers porte les deux chapeaux, étant à la fois chercheuse et praticienne.
« Je fais de la recherche en psychologie éducationnelle et je suis aussi praticienne. Je pense que, dans l’ensemble, la recherche nous a permis de mieux comprendre les liens entre la santé mentale des enfants et leur apprentissage. À une certaine époque, les deux concepts auraient été considérés comme des éléments distincts. La recherche a réuni ces disciplines pour comprendre comment ces éléments sont indissociables dans la vie d’un enfant. Je constate également que les chercheurs du monde entier sont de plus en plus nombreux à travailler ensemble et à apprendre les uns des autres. Nous mettons en commun les données et les ressources de plusieurs régions du monde afin de favoriser des études à plus grande échelle et dans une perspective plus large. »
La différence entre « psychopédagogues » et « psychologues scolaires » n’est pas aussi simple et ne tient pas à l’idée que le terme « pédagogie » désigne les chercheurs et le terme « scolaire », les praticiens. Dans certaines régions du Canada et ailleurs dans le monde, les termes sont interchangeables. Toutefois, pour la Section de la psychologie éducationnelle et scolaire de la SCP, les termes « pédagogie – recherche » et « scolaire – pratique » sont devenus des raccourcis utiles et sont bien compris par les personnes qui travaillent dans ce domaine. Les chercheurs produisent le savoir, les praticiens appliquent celui-ci. La Dre Kokai explique.
« La psychologie scolaire applique les connaissances scientifiques de la psychologie au milieu scolaire. Les psychologues scolaires appliquent leurs connaissances et leur expertise dans les domaines de l’apprentissage, de la santé mentale, du comportement et du développement de l’enfant pour aider tous les élèves à s’épanouir et à se développer le mieux possible. Ils établissent également des liens avec les personnes les plus importantes dans la vie des enfants – parents, enseignants, collectivités – et les soutiennent. Il s’agit d’un travail très collaboratif qui s’effectue dans l’intérêt de nos enfants et de nos jeunes. »
Cette collaboration a porté ses fruits au cours des dernières décennies, dans la mesure où les pratiques évoluent et où les priorités changent dans le but d’aider au mieux les élèves à maintenir leur bien-être et à s’épanouir dans un cadre scolaire. La Dre Rogers en donne un exemple.
« Au début des années 2000, les chercheurs ont commencé à s’intéresser vraiment au concept d’autorégulation ou de régulation des émotions. Certains chercheurs ont commencé à l’examiner dans le contexte éducatif et à étudier les effets de l’autorégulation sur l’apprentissage. Certains chercheurs, et des personnes orientées davantage vers la pratique, comme Stuart Shanker, ont élaboré des programmes et des outils pour les enseignants sur le thème de l’autorégulation et de son incidence sur le comportement. Cela a permis aux éducateurs de mieux comprendre le concept. »
Les psychologues et les chercheurs ont également collaboré à l’élaboration de nouvelles méthodes d’apprentissage de la lecture pour les enfants. Le SickKids de Toronto est l’un des endroits où une grande partie de ce travail a été effectué. Lorsque la Dre Kokai était la chef du service de psychologie du Toronto Catholic District School Board, celui-ci était l’un des sites expérimentaux du SickKids. Il s’agissait d’un lien direct entre les praticiens de l’éducation et les chercheurs. La Dre Rogers faisait son internat au SickKids il y a une quinzaine d’années, lorsque ce nouveau programme a été lancé.
« Ces dernières années, on a beaucoup parlé de la manière dont nous devrions apprendre à lire aux enfants. De nombreux chercheurs au Canada, principalement au SickKids, ont consacré des années de recherche au traitement phonologique et à la compréhension de la lecture. Ils ont élaboré un programme appelé « Empower », un programme de remédiation pour les élèves ayant des difficultés de lecture, qui est extrêmement rigoureux et fondé sur des preuves. Lorsque je faisais mon internat au SickKids, il y a environ 15 ans, Empower commençait tout juste à être mis en œuvre dans les écoles de Toronto, et il est désormais utilisé dans les écoles de l’ensemble du pays et les enseignants reçoivent une formation sur le programme. »
L’influence des connaissances scientifiques sur la psychologie scolaire n’est qu’une partie de ce vaste système de collaboration. Les psychologues de toutes disciplines collaborent et apprennent les uns des autres. Les compétences transmises par un psychologue scolaire peuvent être utiles à d’autres personnes que l’élève. La Dre Kokai se souvient de l’aide qu’apportait aux familles l’aide donnée à un enfant.
« Si vous êtes un parent, vous utiliserez les mêmes méthodes de communication et de gestion du comportement que celles que nous recommandons aux enseignants. Comment communiquer, comment établir des relations positives avec les enfants, pour les aider à devenir plus indépendants et à composer avec la pression des pairs ou les intimidateurs. Beaucoup de ces compétences s’appliquent également aux adultes. Les relations que vous entretenez dans votre milieu de travail, votre collectivité, et ainsi de suite. »
La Dre Rogers, qui travaille comme psychologue clinicienne en plus de ses fonctions à l’Université d’Ottawa, constate l’influence qu’un tel esprit de collaboration a eue sur tous les aspects de la discipline.
« Une des choses que la psychologie clinique a pu apprendre de la psychologie scolaire est la vision holistique de l’enfant dans ce système. Lorsque nous travaillons avec un enfant dans le cadre de la psychologie scolaire, nous travaillons avec lui dans le contexte de l’environnement scolaire, ou de sa famille, ou du système d’éducation dans son ensemble – souvent les trois. Généralement, la psychologie clinique a tendance à être plus axée sur l’individu, et de grands enseignements sont venus des écoles. »
Vous avez probablement lu et vu en ligne des parents qui se plaignent des « mathématiques modernes ». La manière dont les mathématiques sont enseignées dans de nombreuses écoles est en train de changer et de nombreux parents, en particulier les parents de la génération Y, la trouvent difficile à comprendre – que voulez-vous dire par « on ne retient plus 1 »? C’est ainsi que j’ai appris à calculer et qu’on m’a forcé à le faire, ça a marché pour moi! (Nous faisons bien sûr référence aux membres de la génération Y qui parlent comme des prospecteurs du XIXe siècle.) Il n’y a vraiment pas de « mathématiques modernes ». Les maths ne changent pas. 2 + 2 = 4. n! est égal à n x (n-1)… 1. Ce qui a changé, c’est la méthode d’enseignement, qui met davantage l’accent sur la compréhension des concepts que sur l’obtention de la bonne réponse. Mais le processus qui en résulte est si différent que les parents et les enfants ne se comprennent pas bien lorsqu’ils essaient de travailler ensemble sur les devoirs de mathématiques. La Dre Kokai affirme que, bien que les chercheurs étudient cette question depuis un certain temps, à sa connaissance, les psychologues n’ont été que peu ou pas du tout impliqués dans la mise en œuvre de ces nouveaux programmes.
« Cela semble être un exemple de “cloisonnement”, dont nous parlons parfois en éducation. Les psychologues n’ont pas collaboré à l’élaboration de cette nouvelle méthode d’apprentissage des mathématiques, qui s’est faite de façon cloisonnée. Ce que les psychologues scolaires essaient de faire, c’est de soutenir les élèves ayant des difficultés d’apprentissage pour les aider à acquérir des compétences en mathématiques. Mais je sais qu’il y a des chercheurs, ici en Ontario et probablement ailleurs, qui s’intéressent aujourd’hui aux mathématiques et aux compétences de base en mathématiques. Nous devrons écouter ces scientifiques et ces chercheurs et élaborer un programme de mathématiques qui tient compte des résultats de leurs recherches. »
Il existe beaucoup de bonnes raisons de faire intervenir les psychologues – dans tous les domaines de l’éducation, bien sûr, mais plus particulièrement en mathématiques. La Dre Rogers dit que « contrairement à la plupart des autres matières, les mathématiques comportent un aspect cognitif et psychologique qui fait que l’on a l’impression d’être bon en maths ou de ne pas l’être. Et cette perception de soi semble commencer très jeune. » Aider les enfants à franchir cette étape dès leur plus jeune âge est au cœur même de l’argument de la prévention : plus tôt on peut intervenir, meilleur est le résultat pour l’élève, tant sur le plan émotionnel que scolaire. Et plus il y a de chances qu’il soit capable de nager lorsqu’il arrivera dans la partie profonde de la piscine.