Psychologie internationale et interculturelle
Lorsque j’avais huit ans, ma famille et moi avons déménagé à Winnipeg. La première fois que les écoles ont fermé à cause du froid, ce fut un peu un choc pour moi – j’étais plutôt habitué aux journées de neige à Ottawa et je trouvais qu’une journée sans neige, c’était un peu étrange. Mais mes amis semblaient trouver cela tout à fait normal et j’admets que d’aller dehors ce jour-là était suffisamment désagréable pour que je préfère moi aussi ne pas aller à l’école. Mais la journée du printemps où l’école a été fermée à cause des moustiques a été encore plus surprenante. Je n’arrivais pas à me faire à l’idée que mes amis considéraient cela comme étant normal. « Ouais, allons au sous-sol et faire semblant de chanter les chansons de Corey Hart dans notre groupe de playback. C’est une journée des moustiques! »
Même un déménagement d’une ville comme Ottawa vers une ville très semblable comme Winnipeg peut, chez certains d’entre nous, produire un petit choc culturel. Imaginez à quel point Winnipeg doit sembler différente pour Rohit Gupta, un joueur de cricket de haut niveau originaire de l’Inde qui s’y est installé pour étudier la psychologie à l’Université du Manitoba. Les différences culturelles, et les aspects psychologiques qui les accompagnent peuvent être vastes ou infimes – et elles sont partout autour de nous.
Le Dr Randal Tonks est psychologue et enseignant au Camosun College de Victoria, en Colombie-Britannique, où il fait beaucoup de recherches sur l’identité et l’adaptation. Il est président de la Section de la psychologie internationale et interculturelle de la SCP et dit que bien qu’il y ait beaucoup de recoupements, l’international et le transculturel sont vraiment deux domaines différents.
« Le terme “psychologie internationale” est en fait un terme générique qui décrit le fait que de nombreux psychologues travaillent à l’échelle internationale sur des questions mondiales. La psychologie interculturelle s’intéresse aux similitudes et aux différences entre les capacités et les caractéristiques psychologiques des individus, etc., que l’on peut observer dans différentes cultures. »
C’est une différence culturelle intercanadienne qui a mis le Dr Tonks sur la voie de la psychologie interculturelle, puisqu’il a lui aussi traversé le pays pour découvrir une autre partie de notre grande nation.
« J’ai grandi à Vancouver et je suis allé à la UBC pour faire des études de premier cycle, mais j’ai toujours eu très envie d’aller vivre à Montréal, alors j’y suis déménagé après avoir obtenu mon diplôme de la UBC. Dans la culture québécoise du milieu des années 1980, les choses étaient sans doute un peu plus polarisées qu’aujourd’hui. J’ai soudainement pris conscience du rôle de la culture et des problèmes que je rencontrais. Je pouvais passer pour une personne du coin tant que je n’ouvrais pas la bouche. Mais dès que je mettais à parler, on m’identifiait immédiatement comme quelqu’un d’“ailleurs”. J’ai découvert tous les préjugés, les partis pris et les attentes à mon égard. À partir de ces expériences, lorsque j’ai décidé de faire des études supérieures, je me suis beaucoup intéressé aux processus d’acculturation qui s’enclenchent lorsque les gens changent d’endroit, et à la façon dont nous nous percevons culturellement. »
J’ai un jour passé quelques jours à Dalhousie, au Nouveau-Brunswick, où je me suis retrouvé à participer à un match de balle-molle contre le conseil municipal local. Il n’y avait pas de coussins, mais plutôt des fûts de bière qui semblaient être des éléments permanents du terrain de balle-molle. Tout le monde semblait savoir que si un joueur frappait un coup de circuit, l’équipe adverse avait la possibilité de sauter par-dessus la clôture, de récupérer la balle et de la renvoyer à l’intérieur du terrain. Si elle le faisait avant que le joueur ait pu boire une bière à chaque coussin et ensuite franchir le marbre, il était éliminé. Il y avait un facteur limitant indépendant à la consommation d’alcool, c’est-à-dire qu’une fois que le joueur avait fait la ronde de bières une fois, la probabilité qu’il soit retiré sur trois prises la fois d’ensuite augmentait nettement. Je leur ai demandé comment ils appelaient ce sport, ils m’ont regardé comme si ma question était très étrange et ils ont répondu “baseball” en haussant les épaules.
La Dre Gira Bhatt enseigne la psychologie à l’Université polytechnique Kwantlen, située à Surrey, en Colombie-Britannique. Elle a fait partie pendant près de deux décennies de la Section de la psychologie internationale et interculturelle de la SCP. Ses recherches portent sur la culture, l’identité, l’acculturation et les préjugés. Elle effectue actuellement une recherche communautaire appliquée auprès de minorités ethniques au Canada, en explorant les dynamiques qui se déploient autour d’elles. Selon elle, l’une des choses que les psychologues spécialisés dans le domaine culturel et interculturel doivent garder à l’esprit est la traduction. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est si important que les chercheurs soient issus de la collectivité où se fait la recherche.
« J’ai participé à une étude de recherche où nous comparions des personnes originaires de Chine, d’Inde et des Canadiens d’origine européenne. L’un des items de test était “Quelle est votre profession?” Un tas de participants de l’Inde ont écrit “service”. Ma collègue de Chine a dit : “N’est-ce pas modeste de leur part de dire tous qu’ils rendent service!” Et j’ai répondu : “Non non non, ce n’est pas cela. C’est simplement que, en Inde, lorsqu’on exerce une profession rémunérée dans certaines entreprises, on appelle cela du service. Il s’agit d’une distinction entre diriger une entreprise et faire un travail rémunéré, et c’est tout simplement l’expression qu’on utilise pour faire cette distinction”. Si les chercheurs locaux ne sont pas impliqués, il peut en résulter des erreurs de communication, de mauvaises traductions et de mauvaises interprétations. »
Au cours des deux dernières années, les médias se sont intéressés de nouveau aux différences culturelles, en particulier dans le contexte de la pandémie. Quels sont les pays qui s’en sortent le mieux? Quelles communautés sont les plus susceptibles de respecter les directives de la santé publique? Bien sûr, ce n’est pas aussi simple, car chaque pays et chaque communauté est composé d’individus qui ont leurs propres idées et leurs propres systèmes de valeurs. La Dre Bhatt dit que ces idées ont donné lieu à une énorme quantité de nouvelles recherches interculturelles.
« Michele Gelfand a reçu beaucoup d’attention médiatique pour son travail sur les cultures rigides et les cultures permissives, surtout dans le contexte de la COVID. En Chine, les gens semblaient très dociles, ils se sont enfermés chez eux et n’en sont pas sortis pendant trois semaines, alors qu’ici, il y a un mouvement anti-vaccins et des manifestations. Cette différence a fait l’objet d’études approfondies sur la manière dont la culture nous façonne sur le plan de la conformité, les normes sociales ayant une plus grande influence sur la manière dont les gens adhèrent aux mesures de santé publique. Tandis qu’ici, la mentalité des Occidentaux est “Je fais tout ce que je veux”. C’était très important pour nous de le comprendre cela. »
Chose impensable, par exemple, en Corée du Sud, des manifestations ont eu lieu partout au Canada pour réclamer la suppression des mesures de santé publique. Ces manifestations se sont accompagnées d’un courant sous-jacent de xénophobie et de racisme. Ces phénomènes sont en augmentation depuis que la COVID est devenue une pandémie mondiale, les crimes haineux anti-asiatiques et autres incidents racistes se produisant partout au pays. La Dre Bhatt et le Dr Tonks ont participé avec d’autres collaborateurs à la rédaction de la fiche d’information sur le racisme de la SCP, qui décrit la dynamique psychologique sous-jacente des préjugés, de la haine et de la discrimination. Le Dr Tonks dit qu’il s’agit d’un sujet important en psychologie interculturelle.
« Je ne fais pas de recherches actives sur les préjugés, même si, bien sûr, dans mes cours, c’est l’un des sujets importants que j’aborde. Lorsque j’enseigne la psychologie culturelle ou interculturelle, je soulève des questions sur les préjugés et des sujets comme les positions colonialistes en psychologie. Dans certains de mes cours, je travaille actuellement à la décolonisation du programme d’études afin d’y intégrer davantage de perspectives autochtones qui respectent d’autres modes de pensée et formes de connaissance. Ce genre de choses peut contribuer à faire évoluer le monde universitaire et le grand nombre de psychologues qui effectuent des recherches sur différentes cultures. »
Ces dernières années, on a fait grand cas de l’étendue de la psychologie scientifique et de la manière dont la grande majorité des études menées tout au long de l’histoire de la profession ont été réalisées dans une optique occidentale. Parmi les personnes qui tentent de combler cette lacune, et de la corriger figurent des psychologues spécialisés en interculturalité comme la Dre Bhatt.
« Pendant très longtemps, la psychologie était très eurocentriste. Nous comprenons désormais que les pratiques culturelles relatives à la santé mentale comportent de nombreuses variations. Donc, si vous voulez du counseling adapté à la culture, ce qui est devenu une expression à la mode, comment préparer les thérapeutes pour qu’ils soient compétents sur le plan culturel? Nous ne pouvons pas avoir un classement qui dit “si un individu est de telle origine, voilà comment il se comportera”, parce qu’il vit ici! Le degré d’adaptation au Canada varie d’une personne à l’autre, et il ne peut y avoir de solution unique. Des travaux sur ce sujet sont en cours dans les domaines du counseling et de la psychologie clinique, et une masse de travail a été réalisée – mais le potentiel de croissance est énorme.
On accuse parfois les psychologues occidentaux de “créer” un syndrome. On a longtemps entendu cela à propos des troubles de l’attention, et nous savons maintenant que ces derniers ont une base biologique. Mais on arrive avec ces termes et les gens d’autres cultures n’en ont jamais entendu parler. Cela ne signifie pas que le syndrome n’existe pas, mais simplement qu’il peut être étiqueté différemment. Et il existe des syndromes dans d’autres parties du monde que les psychologues occidentaux ne connaissent pas. »
Cela pourrait être le nœud de la psychologie culturelle. Lorsque la culture est une variable, elle affecte le diagnostic, le traitement et même l’apparition de syndromes psychologiques. Il existe peu de maladies qui ne touchent qu’un groupe de personnes et pas d’autres, mais cela peut arriver en psychologie. Il a été démontré que la dépression se manifeste différemment selon les cultures. Les personnes issues de cultures plus occidentales, nord-américaines ou européennes se plaignent davantage des composantes psychologiques de la dépression – humeur dépressive, manque d’énergie, et autres. Mais la dépression a souvent été identifiée dans de nombreuses cultures asiatiques et dans certaines cultures du Moyen-Orient comme étant plutôt de l’ordre de la somatisation [le fonctionnement inadapté d’un système organique, sans lésions tissulaires ou lésions aux organes sous-jacents]. Elle se manifeste davantage sous la forme d’affection physique, et les gens font moins état de leurs sentiments que des troubles qui affectent leur corps. Le Dr Tonks en donne quelques exemples.
« Au Japon, il existe un trouble appelé TKS ou Taïjin Kyofusho, associé à la culture japonaise, caractérisé par une forme d’anxiété, à laquelle se mêle une légère dépression. Il s’agit de la crainte d’offenser autrui par ses mots, par son apparence ou par ses gestes. Les personnes atteintes de ce trouble peuvent avoir l’impression, par exemple, de sentir mauvais et d’offenser les personnes qui les entourent. C’est une pathologie qui a été bien reconnue dans les cercles psychologiques japonais, et qui commence à l’être un peu ailleurs. C’est un phénomène qui ne se manifeste pas beaucoup dans d’autres cultures, mais qui existe très clairement au Japon.
D’un autre côté, une maladie comme l’anorexie mentale peut être une maladie occidentale qui n’est pas vraiment présente dans d’autres cultures, et cela peut être dû en partie à la socialisation et aux facteurs culturels avec lesquels les gens d’Amérique du Nord et d’Europe ont tendance à vivre. Depuis quelques années, nous commençons à voir une légère augmentation de ce syndrome ailleurs, là où les gens se sont occidentalisés et ont été davantage exposés aux médias et à la culture occidentaux. »
Je visitais un marché agricole à Bangkok, il y a plusieurs années, lorsqu’un éléphant s’est approché de moi et a pris un melon. L’homme qui s’occupait de l’étal a levé les yeux, imperturbable, et l’éléphant s’est éloigné avec son melon, tout aussi imperturbable. Je me suis dit que c’était probablement tout à fait normal en Thaïlande, et que les agriculteurs étaient probablement tout à fait disposés à céder une partie de leur production à la faune locale – c’est certainement mieux que d’essayer de se battre contre eux pour reprendre le produit volé. Ce qui semblait un peu moins thaïlandais, c’était les graffitis. L’éléphant portait sur son corps des graffitis peinturés à la bombe. Pour moi, cette pratique semblait très américaine; elle avait commencé dans le métro de New York dans les années 1970, mais avait manifestement gagné la Thaïlande. Je ne suis pas sûr de l’efficacité de ces tags, car je comprends que les graffitis sont un moyen de marquer son territoire – et un éléphant est un animal plutôt mobile. Mais il y avait peu d’éléphants qui se promenaient sur les places du centre-ville sans avoir été mutilés de la sorte. Selon la Dre Bhatt, à mesure que la culture occidentale se répand dans le monde, les bonnes choses – et les problèmes – qui l’accompagnent se répandent aussi.
« Le monde se rapproche de plus en plus près grâce à la technologie, et en raison de la pandémie, nous faisons tout sur Zoom. Nous constatons que les différentes parties du monde qui étaient auparavant très éloignées sont dorénavant très proches. Les adolescents de toutes les parties du monde savent exactement ce que font les adolescents américains, et ils sont très conscients de l’évolution des tendances. Ainsi, de nombreux problèmes ne se limitent pas à une seule culture, ils se répandent dans le monde entier et tout le monde est touché. Nous savons que l’image corporelle change avec le temps et les cultures. Ce qui est considéré comme attirant ne cesse de changer, et c’est vraiment fascinant.
J’ai appris que les femmes des pays du Moyen-Orient portent à présent toutes sortes de maquillage occidental coûteux sous leur niqab. Il y a également eu de tristes cas où une personne en Europe a incité une adolescente au Canada à mettre fin à ses jours. Nous vivons une époque préoccupante. La technologie nous a apporté beaucoup de bonnes choses, mais elle est aussi une source d’inquiétude, car l’insularité de la culture ne se présente plus comme autrefois. »
Bien que ses racines et ses origines remontent à bien plus loin, la psychologie interculturelle a vraiment pris son envol au Canada dans les années 1960, lorsque des pionniers comme le Dr John Berry (l’un des fondateurs de la Section de la psychologie internationale et interculturelle de la SCP) ont commencé à publier leurs recherches. La poussée vers le multiculturalisme dans les années 1960 et 1970 a permis au domaine de croître et de se développer. De nombreuses études ont été menées sur l’identité et la langue, en particulier le français et l’anglais, car beaucoup des questions soulevées étaient liées à la politique du Canada. La Dre Bhatt et le Dr Tonks, ainsi que le Dr John Berry, ont écrit un article retraçant cette histoire, mais se sont arrêtés lorsqu’ils sont arrivés à l’an 2000 à peu près.
« Tout à coup, à cette époque, il semblait que tout le monde parlait de culture d’une manière ou d’une autre, dit le Dr Tonks. Des personnes qui ne faisaient pas généralement de recherches interculturelles souhaitaient désormais considérer la culture comme une variable dans leurs études. Le plus grand changement à survenir dans cette discipline n’est peut-être pas l’augmentation du nombre de psychologues spécialistes des questions interculturelles, mais le fait que des psychologues et d’autres chercheurs de l’extérieur de ce domaine s’intéressent à la manière dont la culture joue un rôle, par exemple, dans l’éducation, les soins aux enfants ou la justice pénale. »
Certains de ces chercheurs qui travaillent hors du domaine de la psychologie interculturelle sont des psychologues évolutionnistes qui s’intéressent à présent au rôle que joue la culture dans l’évolution humaine. D’autres sont des neuroscientifiques, qui étudient les différences cognitives entre une culture et une autre. D’innombrables exemples ont fait la une des journaux récemment – lorsqu’on a montré à des personnes une illusion d’optique constituée de deux lignes de longueur identique, les Africains ont tout de suite su qu’elles étaient de la même longueur, alors que les Nord-Américains ont pensé que l’une était plus longue que l’autre. Une autre étude, où l’on présentait aux gens un écran de veille représentant un aquarium a révélé que les Américains voyaient d’abord trois gros poissons colorés, tandis que les Japonais voyaient d’abord l’eau et les rochers. Selon le Dr Tonks, il y a même quelques études sur le cerveau qui commencent à donner des résultats.
« Dans son livre Cultural Psychology, Steve Heine, de la UBC, révèle que si l’on fait subir une IRMf à des Américains et à des Chinois, et qu’on leur demande de penser à eux-mêmes puis à penser à leur mère, chez les Américains, deux zones distinctes du cerveau s’allument – l’une, lorsqu’ils pensent à eux-mêmes et l’autre, lorsqu’ils pensent à leur mère. Tandis que chez les participants chinois, les mêmes zones du cerveau s’allument. Cela indique que, sur le plan neurologique, ces derniers encodent l’information sur leur sentiment d’appartenance à la famille, contrairement aux Nord-Américains, qui encodent l’information séparément dans leur cerveau. Ainsi, certaines des propriétés dont nous parlons – individualisme et collectivisme, par exemple – peuvent être observées dans certaines données neuropsychologiques. »
Nous avons peut-être des cerveaux différents en raison de nos cultures, de divers syndromes, de différentes expériences et d’une grande variété de problèmes de santé mentale. Mais nous avons un objectif commun – celui d’une humanité collective qui s’efforce continuellement de s’améliorer. Le Dr Tonks dit que la psychologie interculturelle favorise la « conscience de soi et de ses préjugés culturels ». Apprendre comment les autres fonctionnent sur le plan culturel permet de développer une plus grande sensibilité lors des interactions et de la communication au-delà des frontières culturelles. L’objectif que poursuivent de nombreux psychologues interculturels est de travailler de manière coopérative pour construire une société meilleure.
De préférence, une société où il y a très peu de moustiques.