Psychologie du milieu militaire
Au milieu des années 1980, « un véritable exercice militaire était mené en Europe, impliquant des pays de partout dans le monde. Les Allemands de l’Ouest ont été chargés de la “guerre psychologique”. Il s’agissait d’un exercice d’entraînement et tous les individus qui y étaient engagés savaient que ce n’était pas une vraie guerre. Les Allemands de l’Ouest ont rédigé un seul tract qui a mis un terme à tout l’exercice. Ils ont attendu la fin de la deuxième semaine de l’exercice. Les soldats de première ligne avaient dormi dans la boue, ils étaient crasseux et ils étaient fatigués. S’ils dormaient un peu, ils étaient privés de sommeil – en fait, ils se sentaient absolument malheureux. Le tract que les Allemands de l’Ouest ont distribué ressemblait en tout point à une publicité de la pizzeria du coin, offrant de livrer des pizzas gratuitement à leurs camarades de l’échelon arrière : les infirmiers, les personnes chargées de l’approvisionnement et celles qui n’étaient pas au combat. Quand les soldats sur le terrain ont réalisé que pendant qu’ils vivaient dans la boue et mangeaient des boîtes de rations, leurs collègues soldats étaient derrière eux, à manger de la pizza gratuite, ils se sont dit merde, et ils ont démissionné. On ne ferait pas ça dans un vrai scénario de guerre, mais dans ce scénario en temps de paix, l’énorme écart entre leurs conditions de vie et ce qu’ils percevaient des conditions de vie des autres a suffi pour qu’ils décident de ne plus jouer le jeu ».
Le Dr Allister MacIntyre a passé 31 ans dans les Forces armées canadiennes en tant qu’officier de sélection du personnel. Il est titulaire d’un doctorat en psychologie sociale, mais sa thèse portait davantage sur les comportements au travail : la culture, le climat et le leadership au sein de l’Aviation royale canadienne. Quand il était encore un militaire en uniforme, il s’est rendu en Allemagne de l’Ouest. Il y a suivi un cours offert par l’armée sur la guerre psychologique, destiné aux officiers de l’OTAN. Il intègre aujourd’hui certains des principes qu’il a retenus au cours sur l’influence et la persuasion qu’il donne au Collège militaire.
En général, quand nous pensons à la guerre psychologique, nous pensons aux militaires américains faisant jouer du Van Halen à tue-tête pendant des jours pour faire sortir Manuel Noriega de sa forteresse au Panama. (Le fait de lancer Panama de Van Halen dans ce scénario était, selon l’humble avis de l’auteur de ces lignes, un moyen plutôt ringard et beaucoup trop direct.) Récemment, le soi-disant convoi de la liberté qui a bloqué Ottawa pendant trois semaines a été accusé de mener une guerre psychologique par les politiciens, les juges et les forces de l’ordre, parce qu’ils ont usé de leurs klaxons incessants et de sirènes stridentes pour perturber le sommeil et le quotidien des résidents du quartier. Le Dr MacIntyre affirme que le concept général est beaucoup plus vaste que cela.
« La “guerre psychologique” n’est pas vue comme une discipline de la psychologie, elle est beaucoup plus associée à une discipline militaire qui se sert de principes psychologiques. Elle implique des choses comme la propagande, pour influencer vos ennemis et aussi pour obtenir le soutien sur le front intérieur. Les gens croient que la guerre psychologique vise à faire quelque chose à l’ennemi, mais il s’agit surtout d’obtenir le soutien de sa propre nation pour dire “nous faisons vraiment un travail légitime ici”. Certaines des choses que j’ai apprises dans ce cours étaient assez fascinantes pour ce qui est d’apprendre à connaître la culture du groupe que l’on tente d’influencer, en vue de déterminer les déclencheurs à employer pour le faire pencher dans un sens ou dans l’autre. »
Le Dr Damian O’Keefe a un doctorat en psychologie du travail et des organisations et il étudie le comportement humain en milieu de travail. Tout comme le Dr MacIntyre, il compte 30 ans de service militaire et il travaille actuellement à titre de scientifique civil de la Défense à la Division recherche et analyse (personnel militaire) du ministère de la Défense nationale, où il dirige des recherches appliquées pour soutenir les politiques relatives au personnel des Forces armées canadiennes. Il s’empresse de souligner que les psychologues canadiens ne participent pas à la guerre psychologique.
« Nous avons presque tous obtenu nos diplômes au Canada, donc nous respectons tous le code d’éthique de la SCP. S’abstenir de faire du mal représente le principe fondamental qui nous guide. »
L’emploi le plus courant pour un psychologue en uniforme dans les forces militaires canadiennes est celui d’officier de sélection du personnel. La psychologie fait partie des forces militaires canadiennes depuis la Deuxième Guerre mondiale, quand les psychologues ont aidé l’armée à mettre en place un mécanisme efficace de sélection des volontaires qui allaient occuper divers postes dans l’armée. Depuis, les psychologues sont engagés dans la sélection du personnel militaire. Vous pouvez en apprendre davantage sur les origines de la psychologie dans le contexte militaire et le travail qu’accomplissent actuellement les psychologues dans un chapitre de l’ouvrage Canadian Handbook for Careers in Psychological Science, corédigé par Damian O’Keefe, Samantha Urban et Wendy Darr.
La Dre Wendy Darr travaille aussi à la sélection et à l’évaluation, et elle a récemment remplacé le Dr O’Keefe à la tête de la Section de la psychologie du milieu militaire de la SCP. Elle est également scientifique civile de la Défense et elle dirige des recherches et des analyses relatives au personnel pour les forces militaires. Les recherches de la Dre Darr sont axées sur l’élaboration de nouveaux outils de sélection pour la sélection et le recrutement de personnes qui souhaitent devenir des soldats, des marins et des aviateurs. Elle décrit les critères qui permettent aux candidats d’être acceptés dans l’armée au Canada.
« Nous souhaitons surtout trouver ce que 100 ans de recherche ont déterminé comme le meilleur prédicteur de rendement au travail, c’est-à-dire la capacité cognitive générale. Les forces armées canadiennes forment tout le monde, et une grande part de cette formation est très dispendieuse. Alors, nous voulons nous assurer d’investir dans les personnes qui possèdent les aptitudes et la capacité de réussir, particulièrement dans les emplois plus techniques. Ainsi, à la base, nous cherchons à voir si vous êtes sain d’esprit et possédez la capacité d’apprendre. La seconde dimension concerne la personnalité. Êtes-vous compatible avec les exigences d’un environnement militaire? Nous sommes à la recherche de personnes qui adhèrent aux valeurs militaires. Le candidat a-t-il l’aptitude innée de réussir dans un milieu reposant sur des règles, d’être organisé et structuré, et d’agir comme un meneur lorsque nécessaire? Nous cherchons également des personnes qui ont ce qu’il faut pour offrir un bon rendement dans un contexte d’adversité. Êtes-vous stable sur le plan émotionnel? L’entraînement militaire peut être ardu, alors nous voulons nous assurer que les gens ont ce qu’il faut pour composer avec les pressions de l’entraînement. »
Les forces militaires comptent sur toutes les disciplines de la psychologie. Elles disposent de psychologues du travail et des organisations, de psychologues spécialisés en psychologie sociale et de psychologues cliniciens pour soutenir les militaires lorsqu’ils sont aux prises avec des problèmes de santé mentale. Ces psychologues travaillent dans les cliniques militaires et dans certaines unités spécialisées. La vaste majorité des psychologues travaillent dans les 31 cliniques militaires situées partout au Canada, qui comprennent sept centres de soutien pour trauma et stress opérationnels (CSTSO) et prodiguent des soins de santé mentale très semblables à ce qui est offert dans les hôpitaux. (Aussi tiré du Canadian Handbook for Careers in Psychological Science.)
La Dre Susan Dowler est psychologie clinicienne en chef à la Direction de la santé mentale des Services de santé des Forces canadiennes. Elle est la responsable principale de la pratique en psychologie, ce qui signifie qu’elle participe à l’élaboration des lignes directrices relatives à la pratique et à la conformité, mène des enquêtes en cas de problèmes et met en place des formations éducatives. Au contraire des officiers de sélection du personnel, les psychologues cliniciens sont toujours des civils.
« Pour ce qui est des psychologues cliniciens, ils ne sont pas membres du personnel militaire, ils ne sont pas des personnes en uniforme. Ils sont soit des employés de la fonction publique ou des professionnels contractuels. Certains autres pays ont des psychologues cliniciens intégrés aux unités, par exemple les États-Unis, mais en général ce n’est pas le cas au Canada. »
En janvier 1994, Roméo Dallaire envoyait le désormais célèbre ‘fax sur le génocide’ au siège de l’ONU, alertant qu’un génocide était planifié au Rwanda. Quelques mois plus tard, le génocide s’amorçait : entre 500 000 et un million de Tutsis ont été tués sur une période de 100 jours. Dallaire, se sentant abandonné et ignoré par l’ONU et ayant témoigné de mois d’horreurs inimaginables, a beaucoup souffert d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT) après le Rwanda. Il a milité en faveur de la création de services de santé mentale spécialisés pour traiter les blessures de stress opérationnel. Le Dr Dowler mentionne que le premier CSTSO a été créé en 1999.
Au fil du temps, les psychologues cliniciens sont de plus en plus engagés auprès de l’armée et ils jouent un rôle essentiel lorsque des problèmes surviennent. La stigmatisation associée à la recherche d’aide en santé mentale a toujours été omniprésente dans la société, mais plus particulièrement dans le milieu militaire où, comme le souligne le Dr MacIntyre, « on s’attend à ce que les gens soient forts ». Le Dr O’Keefe et lui-même se sont tous deux rendus en Australie, pour travailler avec l’armée australienne. Ils ont remarqué, il y a de nombreuses années, que tous les soldats qui avaient été déployés pour quelque raison que ce soit devaient consulter un psychologue à leur retour en Australie. Ce n’était qu’un dépistage, mais cette démarche éliminait une part de l’ostracisme entourant le fait d’avoir à parler à un professionnel, puisque tout le monde devait le faire. Le Dr Dowler indique qu’une pratique similaire est en place dans les forces militaires canadiennes.
« Nous faisons depuis longtemps du dépistage postdéploiement. Entre trois à six mois après le déploiement, les soldats remplissent des questionnaires et ont une entrevue avec un travailleur social. Si une information est jugée comme étant potentiellement problématique, le militaire est orienté vers les services de santé mentale. Pour voir un psychologue, il faut être aiguillé par le personnel médical. »
Le dépistage postdéploiement n’est qu’une partie du processus auquel sont soumis les soldats après avoir participé à des combats. Les psychologues ont ajouté une nouvelle étape pour rendre le retour au Canada et à la vie familiale un peu plus facile et plus réussi. Le Dr O’Keefe explique :
« Quand les soldats reviennent d’un déploiement outremer, ils passent par une “décompression dans un tiers lieu”. C’est-à-dire deux ou trois jours pendant lesquels ils sortent du théâtre des opérations qui étaient potentiellement très difficiles. Ils se rendent dans un endroit très calme et la plupart du temps au climat assez chaud, où ils reçoivent des breffages de la part de gens comme Susan (psychologues cliniciens) et d’autres professionnels qui leur disent “si vous ressentez ce symptôme, voici ce que vous devez faire”. On ne peut pas mettre des soldats dans un avion et les renvoyer chez eux directement d’Afghanistan. Ils ont besoin de temps pour décompresser et pour absorber ce qu’ils ont vécu. Et, évidemment, pour obtenir de l’aide professionnelle s’ils en ont besoin. »
Les psychologues font partie du processus militaire depuis le moment où un individu s’enrôle jusqu’aux années qui suivent sa dernière mission. Ils les aident à s’entraîner, à performer et à guérir pour qu’ils soient aussi sains, adaptés et émotionnellement stables que possible lorsqu’ils se rendront à leur soirée pizza.