Laura Thomas – photo par Erik McRitchie
Photo de B.I.G. au pôle Nord par Edel Kieran
La formation des astronautes pour les vols spatiaux nécessite une équipe importante, y compris des psychologues qui peuvent aider à les préparer à la proximité et à l’isolement pendant de longues périodes. Laura Thomas n’est pas seulement une de ces psychologues, elle a aussi connu des rapprochements et un isolement similaires avec des expéditions exclusivement féminines dans des endroits comme le pôle Nord.
Nous lançons le Mois de la psychologie 2025 : les femmes en sciences avec un regard sur le travail de Laura, ses voyages et les exigences pour établir un record du monde Guinness!
Je suis souvent émerveillé par les personnes que j’interviewe, dont beaucoup sont remarquablement accomplies et font un travail important pour le monde. Parfois, je suis même un peu envieux, car j’aurais aimé participer à certains de leurs projets. J’ai confié cela à Laura Thomas vers la fin de notre réunion Zoom, mais je lui ai dit qu’elle était une exception. Cela ne veut pas dire que je ne suis pas en admiration devant tout ce qu’elle fait – je le suis assurément. Mais je ne suis pas du tout envieux. J’aurais aimé participer au cocktail le plus septentrional du monde (faites défiler vers le bas pour découvrir la recette des canapés). Mais très peu de choses sur Terre auraient pu me convaincre de me joindre au groupe d’intrépides qui ont skié, campé et bravé les glaces en mouvement du pôle Nord pendant des jours afin de m’y rendre.
Laura Thomas, quant à elle, était impatiente de le faire. En 2016, elle était psychologue-conseil au Royaume-Uni et adepte du tourisme d’aventure. Elle a commencé à s’intéresser aux environnements extrêmes et a assisté à une conférence de l’exploratrice britannique Felicity Aston, MBE. Elles ont bavardé et, peu de temps après, Laura l’a rejointe pour effectuer un voyage de trekking en Éthiopie. Quelques années plus tard, elle se dirigeait vers le pôle Nord, vivait à Calgary et donnait une toute nouvelle orientation à sa carrière.
Faire un trek jusqu’au pôle Nord apparaît comme un long périple... parce que c’est le cas. Pensez-y : la distance qui sépare le pôle magnétique nord actuel de la base militaire d’Alert, au Nunavut – le lieu habité le plus au nord de la planète – est d’un peu plus de 800 km. La distance entre la Terre et la Station spatiale internationale n’est que de 400 km.
Vous arrive-t-il de regarder la SSI lorsqu’elle passe au-dessus de votre tête et de vous demander ce que font les astronautes? Un peu de recherche, on le suppose, et beaucoup de cuisine lyophilisée? Une forme d’exercice qui ressemble à la scène de 2001, L’Odyssée de l’espace? En tant que Canadiens, nous savons que certains d’entre eux répètent des airs de David Bowie à la guitare, car il est impossible que Chris Hadfield ait pu accomplir cette performance sans s’exercer.
Laura sait ce que font les astronautes. Ou, du moins, ce qu’ils pourraient faire. Et comment ils peuvent le faire, compte tenu des longs mois d’isolement, de l’intimité imposée par la promiscuité et des changements physiques que l’on subit dans ces conditions. Laura étudie les gens, et leur comportement, dans un isolement extrême.
Laura est la cofondatrice de PARSEC Space, une nouvelle entreprise qui a pour but de former les exploitants d’engins spatiaux commerciaux. Elle travaille aux côtés de scientifiques, de pilotes et d’ingénieurs de la NASA, de l’ESA et de l’armée pour sélectionner, former et préparer la prochaine génération d’astronautes. Il ne s’agira pas nécessairement de voyageurs de l’espace qui rejoindront l’ISS. Il existe de nombreux autres projets d’exploration spatiale.
« Plutôt que sur le tourisme spatial en tant que tel, nous nous concentrons principalement sur la recherche et les spécialistes de charge utile, m’explique Laura. Des personnes qui vont proposer leur expertise dans le cadre de divers projets et recherches menés dans l’espace. Le problème avec les astronautes des agences gouvernementales, c’est qu’il faut énormément de temps et d’argent pour les former. Et ce sont des généralistes. Ils ne sont pas nécessairement des experts des types de technologies qu’ils testent ou des expériences qu’ils mènent dans l’espace. Dans le futur, il y aura beaucoup plus de recherche spatiale. »
Les entreprises pharmaceutiques, par exemple, aimeraient tester de nouveaux médicaments dans l’espace. Les éléments réagissent différemment dans l’espace en raison des conditions qui y règnent. En micropesanteur, les bactéries se développent différemment. L’observation de la croissance des organismes en l’absence de gravité pourrait être très utile. Les entreprises manufacturières ont également tendance à vouloir tester leurs produits et leurs systèmes dans l’espace. La NASA envisage de construire une base permanente sur la lune, qui comporterait sans aucun doute un important centre de recherche.
Lorsque cela se produira, PARSEC sera là pour former les astronautes qui s’y rendront, et Laura évaluera la forme mentale des participants et préparera ceux-ci à affronter les rigueurs d’un voyage dans l’espace.
« Les qualités recherchées chez les astronautes ont quelque peu évolué au fil des ans. C’est ce que nous appelons le “new Right stuff”, les nouvelles qualités. Auparavant, les missions étaient relativement courtes; il fallait donc des personnes possédant les compétences techniques nécessaires pour mener à bien le travail à accomplir. Mais si l’on veut que les gens survivent et se développent dans l’espace à long terme, avec un tel niveau d’isolement et de confinement, il faut se demander comment ils font pour s’adapter. Il faut comprendre leur résilience innée, leur capacité à faire face à différents types d’agents stressants, leur capacité à s’entendre avec les autres, leur capacité à fonctionner en équipe. Le côté “plus doux”, les traits de personnalité, deviennent beaucoup plus importants. »
Laura ne peut pas aller dans l’espace pour observer les gens et les guider dans cet environnement précis, du moins pas encore, donc elle devra se contenter d’environnements analogues sur Terre (ceux qui présentent le plus de similitudes avec les conditions qui règnent dans l’espace). Des systèmes de grottes souterraines, des jungles et des montagnes isolées et, bien sûr, les régions polaires. Laura, par exemple, était la psychologue de l’équipage lors d’une mission en conditions analogues, dans le désert de Mojave, où les participantes étaient isolées pendant 10 jours.
« C’était vraiment intéressant, nous étions dans un habitat qui était en fait une série de capsules. Huit femmes seules, isolées dans le désert de Mojave et vivant comme des astronautes. Nous avions une médecin de vol, une ingénieure mécanicienne, une commandante d’équipage. Notre routine quotidienne comportait des exercices et des activités que nous aurions à faire en tant qu’astronautes. »
Sur place, Laura a observé et aidé ses coéquipières afin de s’assurer que tout le monde gérait bien la situation, en déterminant les meilleures interventions possibles et adaptations à apporter dans ce contexte. Il s’agissait du premier projet en conditions analogues à être entièrement féminin, ce qui a attiré des scientifiques du monde entier. Les membres de l’équipage venaient de Jordanie, de Nouvelle-Zélande, des États-Unis et d’ailleurs. Le projet a permis à Laura d’approfondir ses recherches sur la salutogenèse dans des environnements analogues. La salutogenèse est une approche qui met l’accent sur les facteurs qui favorisent la santé et le bien-être, et produisent des effets positifs sur les individus.
De nombreuses personnes vivent des expériences très positives dans ce type d’environnement. Souvent, les astronautes qui vont dans l’espace peuvent regarder la Terre à travers les fenêtres de la coupole d’observation, ce qui peut créer une profonde connexion avec le transcendant. Ils reviennent sur Terre avec une vision différente de la beauté et de la fragilité de la planète et éprouvent une plus grande compassion pour l’humanité. C’est ce qu’on appelle « l’effet de vue d’ensemble », qui dure bien plus longtemps que le moment où l’astronaute regarde par le hublot de son vaisseau spatial. Des états extrêmes d’émerveillement et de connexion au transcendant ont également été observés dans le cadre de missions en conditions analogues menées sur terre.
« De loin, on peut voir que la Terre est composée de masses terrestres et d’eau. On ne peut pas dire où commence la frontière d’un pays et où s’arrête celle d’un autre. Cela nous convainc que nous participons tous à la même chose. »
Des études ont également fait état d’une plus grande confiance en sa force personnelle, d’une meilleure résistance au stress et d’une amélioration de la santé physique à long terme. Parfois, plus la situation est stressante pour les participants, plus la transformation de leur psychisme est profonde. Laura explique que c’est comme s’il y avait un seuil de stress à atteindre pour que les effets positifs se fassent sentir.
Il est difficile d’imaginer une expédition plus stressante qu’une expédition au pôle Nord. En 2024, Laura et ses camarades d’exploration, toutes des femmes, sont parties prélever des échantillons de glace, de neige et d’eau à l’emplacement du pôle magnétique nord de 1996. L’expédition B.I.G. (Before It’s Gone) était prévue depuis 2020, mais les retards causés par la COVID et l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont obligé certains membres de l’équipe à se retirer et Laura a pu prendre la relève.
L’équipe, dirigée par l’exploratrice britannique Felicity Aston, MBE, s’est exercée au ski de fond en Norvège et en Islande pendant des semaines. Les coéquipières d’expédition se sont ensuite rendues en avion à Iqaluit, puis à Resolute Bay et enfin à Isachsen, une station météorologique abandonnée datant des années 1970, qui était la piste d’atterrissage la plus proche du pôle magnétique. Chacun des vols reliant ces destinations a été retardé par des conditions météorologiques défavorables, ce qui a écourté la durée du voyage. Chaussées de skis, tirant leur équipement dans leurs traîneaux, elles se sont dirigées vers le pôle.
Il y a eu d’autres retards en cours de route. Le mauvais temps les a bloquées dans leurs tentes pendant près de trois jours. Bien que physiquement épuisées et gravement déshydratées, elles ont dû continuer à avancer pour éviter l’arrivée d’une tempête. L’équipe était toujours à l’affût, à la fois de la glace en mouvement et des ours blancs.
« C’est toute une expérience, mais c’est difficile, me confie Laura. Tout le monde vous dira que ces environnements sont difficiles. Il faut avoir le bon équipement, mais même là, c’est dur. En fait, vous êtes dans un endroit où tout s’acharne à vous tuer. Le froid, la glace de mer, et même les ours blancs. Lorsque nous sommes arrivés à Resolute Bay, les habitants nous ont dit que c’était la saison des amours des ours blancs et que nous allions certainement en rencontrer. »
Sur le chemin, l’équipe a recueilli des données. Celles-ci ont révélé que toutes sortes de microplastiques se retrouvent dans la glace du pôle Nord, de même que des métaux lourds comme le plomb et, surtout, du carbone noir. Le carbone noir est généré par les voitures, les installations industrielles et les incendies de forêt. Sa présence dans la glace arctique est assez préoccupante : les petites particules noires qui le composent font fondre la glace plus rapidement qu’elle ne le fait déjà, ce qui accélère les effets des changements climatiques.
Laura a également recueilli des données pour son projet sur la salutogenèse, lui permettant d’en apprendre davantage sur la façon dont les gens réagissent lorsqu’ils sont poussés à de tels extrêmes. Malheureusement, elles n’ont pas réussi à atteindre le pôle magnétique nord, en raison des retards dus aux conditions météorologiques et de la durée écourtée du voyage. Mais elles se sont arrêtées pour établir un record Guinness!
Le processus entourant les records du monde, du moins celui établi par Guinness, est assez amusant. Il faut prendre contact directement avec l’organisation des records Guinness à l’avance et lui faire part de son intention de battre un précédent record du monde ou d’en établir un nouveau (Salut, Guinness, c’est moi! Je prévois organiser le plus grand atelier de fabrication de peluches du monde, est-ce que mon projet pourrait être pris en considération?) Ensuite, il y a des critères précis à remplir pour pouvoir revendiquer ce record.
Et c’est ainsi que l’équipe de l’expédition B.I.G., en plus de son équipement scientifique et de son équipement de survie, a transporté jusqu’au pôle Nord des verres à cocktail, des robes de cocktail et un appareil pour faire jouer de la musique. L’un des commanditaires du voyage était une société de boissons alcoolisées (Axia Spirit), et l’événement était un clin d’œil à cette société. Mais selon l’organisation des records Guinness, il n’y a pas de cocktail sans musique, table, tenue de cocktail et canapés.
Son esprit d’aventure, sa quête de connaissances et d’expériences et sa détermination ont fait de Laura Thomas la candidate idéale pour une expédition à ski au pôle Nord. Mon affection pour le confort, ma condition physique moyenne et mon penchant pour la variété en matière culinaire ont fait de moi la personne idéale pour rester à la maison et écrire sur son expédition. Et c’est amusant d’écrire sur une « psychologue de l’espace ». Il y a quelques années, il n’y en avait peut-être qu’une poignée sur Terre. Aujourd’hui, alors que l’espace s’ouvre, il est possible de faire appel à un large éventail d’experts pour garantir la sécurité et l’efficacité de ces nouvelles missions spatiales.
La formation de psychologue de Laura et sa passion pour la recherche lui ont été très utiles sur Terre. Elle travaille sur des projets qui mettent en lumière certains des problèmes les plus graves du monde. Et ce sont ces qualités et ces qualifications qui serviront la prochaine génération d’explorateurs. Ceux qui se dirigeront vers les régions les plus inexplorées de notre monde – celles qui se trouvent au-delà de notre monde. Ils pourront réussir grâce à une équipe d’experts dévoués qui les aideront dans leur travail, et à Laura qui les aidera dans leur tête. Qui de mieux qu’une personne possédant ce type d’expérience pour accomplir d’aussi grandes choses?