Ann Marie Beals
Dre Natalie Kivell
Ramy Barhouhe
Ann Marie Beals, Dre Natalie Kivell, et Ramy Barhouhe, Psychologie communautaire
La psychologie communautaire concerne davantage l’aspect « communautaire » que l’aspect « psychologique » et est très impliquée dans les questions de justice sociale. Le Mois de la psychologie met en vedette aujourd’hui Ann Marie Beals, la Dre Natalie Kivell et Ramy Barhouhe, qui nous parlent de leur travail dans ce domaine.
« Les personnes impliquées dans la transformation sociale au sein de leur collectivité – organisateurs communautaires, responsables des mouvements populaires – s’appuient sur des théories aussi rigoureuses sur le fonctionnement du changement que celles que l’on trouve dans le monde universitaire. »
La Dre Natalie Kivell est professeure adjointe au programme de psychologie communautaire de l’Université Wilfrid Laurier. « Il y a très peu de programmes de psychologie communautaire dans les universités canadiennes, dit-elle, et les personnes qui travaillent dans le domaine tendent à être beaucoup plus impliquées dans le volet “communautaire” que dans le volet “psychologique” de leur travail. »
Ann Marie Beals est l’une de ces personnes. Ann Marie est une étudiante de deuxième cycle au programme de psychologie communautaire de l’Université Wilfrid Laurier. Elle est Micmaque – de descendance afro-néo-écossaise et micmaque – et elle s’intéresse à l’effacement des communautés métisses afro-autochtones, hier et aujourd’hui, à la vérité et la réconciliation et à l’actuelle marginalisation des nations autochtones et des communautés noires du Canada.
Ramy Barhouhe, un autre étudiant de Natalie, est originaire du Liban et vivait aux États-Unis avant de venir à l’Université Wilfrid Laurier pour étudier au programme de doctorat en psychologie communautaire. Dans le cadre de ses études, il s’intéresse au colonialisme et à la colonisation. Il cherche à savoir, d’une part, comment les structures coloniales ont façonné le développement de systèmes communautaires entiers en Amérique du Nord et en Asie du Sud-Ouest, et d’autre part, comment cela oriente la façon dont les gens perçoivent, ressentent et expérimentent le monde sur le plan du temps, de l’espace, de la moralité, du pouvoir, de l’éducation, de la santé, de la justice, de la politique, de l’économie et plus encore.
Ramy, Ann Marie et Natalie sont venus à la psychologie communautaire par des chemins très différents, mais ils ont tous des vues similaires dans la mesure où ils placent tous la « communauté » avant la « psychologie ». Ils sont tous les trois très investis dans le démantèlement des systèmes actuels et très conscients qu’ils travaillent eux-mêmes dans certains de ces systèmes. Ramy étudie les moyens d’opérer la décolonisation dans le milieu universitaire, lui-même un vestige structurel des pratiques coloniales. Ann Marie est membre de la SCP et est la trésorière de la Section de la psychologie communautaire de la SCP, deux institutions qui sont façonnées par l’héritage du colonialisme. Natalie est professeure de psychologie, un domaine d’étude qui a longtemps été complice non seulement du colonialisme, mais aussi de la marginalisation des populations minoritaires.
Selon Ramy, « le monde universitaire est tellement imbriqué dans le système capitaliste néolibéral qu’il est très difficile de l’en détacher. L’écart de pouvoir entre les personnes qui contrôlent le flux de connaissances et celles qui ne le contrôlent pas est trop grand. Prenons l’exemple d’un universitaire qui reçoit une subvention pour faire des recherches, qui fait appel ensuite à une communauté pour obtenir des informations de celle-ci. Mais il n’a pas à obtenir l’approbation de cette communauté par la suite en ce qui concerne la diffusion et la mobilisation des connaissances. Il obtient le mérite, la reconnaissance et le financement, mais la communauté elle-même n’en retire rien. Elle ne fait qu’appuyer et aider l’université. Il s’agit donc d’un problème lié à la structure du colonialisme au sein de l’université dont nous devons encore parler et que nous devons surmonter.
Nous en parlons beaucoup dans notre programme et nous reconnaissons que nous faisons également partie du problème. Si nous effectuons cette recherche, nous ne sommes pas pour autant dégagés de la structure et de l’impact qu’elle a sur la communauté; nous faisons toujours partie du problème. Nous essayons de trouver une façon de reconcevoir cela, et cela exige une certaine dose de respect et d’humilité envers la communauté dans laquelle nous travaillons. Il faut s’assurer qu’elle obtient sa juste part et le respect qui lui est dû, et même des fonds, qui lui serviront à répondre à ses besoins. C’est là que la transformation s’impose : comment utiliser les ressources qui font malheureusement partie d’un système corrompu pour en faire bénéficier ces communautés? Et comment utiliser leurs connaissances comme étant les leurs, et non comme étant les miennes, simplement parce que j’ai fait une enquête dans la collectivité. »
Ann Marie considère la situation actuelle, influencée par la pandémie de COVID-19, comme une fenêtre ouverte sur le travail qui doit être fait. « La pandémie a révélé à quel point les politiques et les pratiques d’austérité néolibérale ont affecté nos systèmes de soins de santé et comment les travailleurs précaires touchant le salaire minimum ou occupant des emplois peu rémunérés – principalement des femmes noires, des personnes racisées, des nouveaux arrivants et des Autochtones – sont touchés de manière disproportionnée par le manque de compassion, de soins et de filets de sécurité adéquats, qui ont été démantelés par les gouvernements néolibéraux.
À titre d’exemple, l’actuel gouvernement de l’Ontario, dans le contexte d’un régime capitaliste, a adopté une loi limitant les augmentations de salaire à 1 % pour les travailleurs du secteur public comme les travailleurs de la santé, car l’inflation dépasse les 4 % [4,1 % en août 2021]. Dans notre programme de psychologie communautaire, nous comptons des étudiants et des chercheurs universitaires issus et résidents de communautés directement touchées par les pratiques néolibérales et coloniales, comme celle-ci, qui continuent à creuser les écarts en matière de soins de santé et de stabilité économique. En même temps, les droits fondamentaux de la personne, comme le logement, l’éducation, l’eau potable et la qualité de vie ne sont pas seulement bafoués, ils sont délibérément ignorés. En tant qu’étudiante chercheuse, j’examine, avec d’autres psychologues communautaires critiques, l’intersection entre les structures de pouvoir, comme la suprématie blanche, le colonialisme, le néolibéralisme et le patriarcat, et les êtres humains et la Terre mère à partir d’une infinité d’identités interconnectées.
Nous examinons ces structures de pouvoir, au travers du contrôle des ressources situées sur les terres autochtones volées, du racisme anti-Noirs et des politiques colonisatrices. Et j’entends par là les personnes qui soutiennent et maintiennent ces structures de pouvoir. Parfois, nous parlons des structures de pouvoir de manière abstraite ou théorique, mais nous devons être conscients du fait que les gens soutiennent et maintiennent ces structures. Ils essaient de dicter notre mode de vie et oppriment systématiquement toute personne qui ne correspond pas à la conception de ce qu’est un “Canadien”, à savoir un homme blanc cisgenre hétérosexuel et non handicapé. Pour moi, cela revient toujours à démanteler les structures de pouvoir qui oppriment les gens dans ma communauté. »
Il existe plusieurs mots qu’Ann Marie, Ramy et Natalie utilisent assez souvent : intersection, démantèlement, néolibéral, colonialisme. Un autre mot qu’ils utilisent tous, peut-être encore plus souvent, est celui de « collaboration ». Ramy parle de collaboration avec les communautés, de sorte que le travail qui y est effectué ne vise pas à extraire, mais plutôt à améliorer les connaissances, la santé et la réussite de cette communauté. Ann Marie parle de collaboration, dans le sens où le mérite du travail accompli n’est pas seulement l’objectif final, mais est contraire au processus d’autodétermination des collectivités. Natalie parle de dizaines d’autres organismes communautaires, militants locaux et disciplines scientifiques avec lesquels elle travaille pour faire avancer les innombrables causes de la justice sociale. En fait, le tout premier mot qu’elle utilise pour décrire la psychologie communautaire est « interdisciplinaire ».
« La psychologie communautaire est une science sociale interdisciplinaire, axée sur les valeurs et sur l’action et engagée dans la communauté. Elle s’intéresse à la justice sociale à l’intersection de la justice raciale, climatique, migratoire, sexuelle, carcérale ainsi que la justice pour les personnes handicapées. Nous travaillons à l’intersection des questions complexes de justice sociale qui se touchent de manière interconnectée. La psychologie communautaire est guidée par un ensemble de théories. Nous abordons ces questions sociales complexes à partir de lieux de prévention, de la théorie écologique, de perspectives critiques et de perspectives de décolonisation. Nous cherchons à situer les relations entre les individus, les communautés et les sociétés. Lorsque nos communautés sont justes et équitables, les personnes qui les habitent sont en meilleure santé. La psychologie communautaire a donc comme objectif de trouver des moyens de reconstruire, reconcevoir et créer collectivement des systèmes scolaires, des systèmes de santé, des systèmes pénitentiaires équitables, etc. ».
Puisque la psychologie communautaire s’attaque à un aussi vaste éventail de systèmes et de structures, le travail des psychologues communautaires transcende de nombreuses frontières et touche à d’autres aspects de la psychologie – justice pénale, environnement, éducation, etc. Bien qu’ils soient peu nombreux, leur collaboration avec les disciplines, les sciences, les groupes communautaires et les organisations militantes leur permet d’avoir un impact considérable.