Hommage d’une psychologue albertaine à Nelson Mandela
Zuraida Dada, psychologue en Alberta, a grandi dans l’Afrique du Sud de l’apartheid et a participé à la lutte contre l’oppression qui a finalement abouti à la formation d’un gouvernement démocratique en 1994. Dans cet article, elle rend hommage au dirigeant et au visage du mouvement antiapartheid, le regretté Nelson Mandela. Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition du printemps 2023 de la publication The CAP Monitor du College of Alberta Psychologists et a été republié dans le bulletin d’information Kaleidoscope de la Section psychologie du counseling de la SCP en décembre 2023.
Hommage d’une psychologue albertaine à Nelson Mandela
Zuraida Dada, psychologue agréée, C.Psych., CRHA (à la retraite)
Apartheid
Le terme « apartheid » est un mot afrikaner qui signifie « séparation ». L’apartheid a été appliqué en Afrique du Sud de 1948 à 1994. Il s’agissait d’une politique malveillante, dont l’objectif était l’anéantissement des personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC, ou BIPOC pour la version anglaise). L’apartheid était une oppression légalisée, de nature socioéconomique et politique. Le gouvernement de l’apartheid a utilisé tous les moyens légaux pour atteindre ses objectifs, notamment :
- La classification et la ségrégation de la population
· La ségrégation dans l’emploi et l’apartheid économique
· La ségrégation dans l’éducation
· L’occupation des terres et la ségrégation géographique
· L’interdiction des relations sexuelles interraciales
· Les laissez-passer et le contrôle de la migration
· La représentation politique
· Le développement séparé et les bantoustans
· Les bannissements, la détention sans procès et la sécurité d’État
L’apartheid était omniprésent et régissait tous les aspects de notre vie, du berceau à la tombe. Pour les PANDC vivant sous l’apartheid, cela signifiait vivre sans liberté et dans une peur perpétuelle. Nelson Mandela a réussi à mener le pays à la liberté de manière pacifique (sans guerre ni effusion de sang) et a été le premier président noir de l’Afrique du Sud démocratique de l’après-apartheid.
Comment rendre hommage à une figure paternelle, à une personne qui a laissé une marque indélébile sur moi et sur tous les aspects de ma vie? Il n’y aura jamais assez de mots pour exprimer la profondeur de l’influence que Nelson Mandela (ou Tata Madiba, comme on l’appelle affectueusement) a eue sur moi. Je vais faire de mon mieux pour vous transmettre quelques idées que Tata Madiba m’a enseignées à travers ses paroles et ses actions, et que je m’efforce d’appliquer dans ma vie personnelle et professionnelle.
Les leçons de Nelson Mandela (Tata Madiba)
Ce que Tata Madiba m’a appris :
- À propos d’« Amandla », qui signifie « pouvoir » (plus précisément le pouvoir de la liberté). Que la liberté est comme l’oxygène : ce n’est qu’en son absence que l’on se rend compte à quel point elle est précieuse. Sous l’apartheid, nous n’avions pas accès à des psychologues. C’est à cause de cette idée que je suis devenue psychologue. Elle a imprégné ma vie et est à la base de mon travail en matière de justice sociale. C’est ce pour quoi je me bats : une libération de l’oppression, du racisme, de la violence, des préjugés et de la discrimination. L’idée que la lutte contre le racisme et la discrimination est aussi vitale que la respiration m’a permis de comprendre les réactions de mes clients face au racisme, m’a permis d’être plus empathique et m’a appris que la lutte contre le racisme est nécessaire et vitale pour la survie et l’épanouissement des PANDC.
- Que le pouvoir se présente sous de nombreuses formes et qu’il s’accompagne d’une responsabilité importante, celle d’agir avec discipline et d’accepter les conséquences de ses actes. En tant que psychologues, il est essentiel que nous comprenions la dynamique de pouvoir à l’œuvre dans nos relations avec nos clients. Nos clients consultent généralement lorsqu’ils sont le plus vulnérables et s’ouvrent souvent sur des aspects de leur vie dont ils n’avaient jamais parlé auparavant. En tant que psychologues, nous devons préserver cet espace sacré et être conscients du pouvoir que nous avons et du rôle que nous jouons vis-à-vis de nos clients. C’est le fondement de la pratique clinique que d’être conscient de cette dynamique et de faire tout ce que nous pouvons pour la rééquilibrer et ne pas abuser de ce pouvoir.
- Sur la nature de l’oppression et du racisme. Que le racisme est une idéologie omniprésente qui repose sur le pouvoir, les privilèges et la peur. C’est une forme de violence qui s’épanouit dans le silence. Le racisme est traumatisant à vivre. Le déni du racisme engendre des traumatismes et le fait de reconnaître et d’accepter l’existence du racisme est le premier pas vers la guérison. C’est ce qui guide mon approche lorsque je travaille avec des clients qui ont été victimes de racisme/discrimination. J’utilise une approche axée sur la compassion et tenant compte des traumatismes, et je propose de l’éducation thérapeutique sur le racisme, le pouvoir et les privilèges, ainsi que des stratégies pour gérer la situation. Malheureusement, j’ai été confrontée sur le plan professionnel à des cas de déni de racisme de la part de collègues psychologues, ce qui, en tant que PANDC, est traumatisant à vivre. En tant que psychologues, nous avons l’obligation éthique et le devoir professionnel d’être objectifs et de fournir des services professionnels exempts de préjugés. Compte tenu du traumatisme que le déni du racisme provoque, je crois fermement que le déni du racisme devrait être traité d’une manière analogue au harcèlement sexuel, et devrait être un motif de faute éthique ainsi que d’incompétence professionnelle.
- Sur l’importance des valeurs et le rôle qu’elles jouent dans nos vies. Lors du procès de Rivonia, le 20 avril 1964, Tata Madiba a prononcé ces paroles célèbres : « J’ai combattu contre la domination blanche et j’ai combattu contre la domination noire. J’ai chéri l’idéal d’une société démocratique et libre dans laquelle toutes les personnes vivraient ensemble en harmonie et disposeraient de chances égales. C’est un idéal pour lequel j’espère vivre et que j’espère atteindre. Mais s’il le faut, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. » Je pense que le racisme (et la lutte contre l’oppression) repose sur des valeurs personnelles qui se reflètent ensuite dans notre vie quotidienne, ce qui entraîne un racisme systémique et internalisé. En tant que psychologues, nous avons le devoir de nous livrer régulièrement à une certaine introspection, d’être conscients de la dynamique de la société dans laquelle nous évoluons, de comprendre la nature du racisme afin de pouvoir soutenir, de manière saine et constructive, nos clients qui en sont victimes, d’accepter nos limites et d’être conscients de celles-ci, de prendre au besoin les mesures qui conviennent, par exemple orienter des clients vers d’autres personnes plus compétentes que nous lorsque la situation le justifie, suivre une formation si nécessaire et défendre les intérêts de nos clients et la justice sociale.
- Le pouvoir d’une seule personne. Comment les actions d’une seule personne peuvent avoir un impact sur des millions d’autres êtres humains. Je me fais constamment rappeler l’impact et l’importance de mon travail en tant que psychologue. Notre travail est important et provoque souvent un tournant dans la vie des personnes que nous accompagnons, et ce changement a un effet d’entraînement sur les communautés et les sociétés dans leur ensemble. Pour qu’une société se porte bien, il faut que ses membres se portent bien. Notre rôle en tant que psychologues est de favoriser l’émergence de communautés et de sociétés saines, une personne à la fois.
- Choisir la plume plutôt que l’épée. En tant que psychologue, je me rappelle constamment le pouvoir de mes paroles sur mes clients, ainsi que le pouvoir des paroles de chaque personne sur la façon dont elle se perçoit, sur son identité et sur sa propre vie.
- Les actes comptent plus que les mots. En tant que psychologues, nous devons « être le changement que nous voulons voir dans ce monde » et participer à des initiatives de défense des intérêts sociaux et de justice sociale, pour aller au-delà des belles paroles.
- Sur la générosité de l’esprit humain, sur le triomphe de l’amour sur le mal/la haine. Tata Madiba a déclaré : « Personne ne naît en haïssant une autre personne à cause de la couleur de sa peau, de ses origines ou de sa religion. Les gens doivent apprendre à haïr, et s’ils peuvent apprendre à haïr, ils peuvent apprendre à aimer, car l’amour est plus naturel au cœur humain que son contraire. » Ce principe régit mon travail au quotidien. Dans le contexte de la défense des intérêts des clients et de la justice sociale, nous devons, en tant que psychologues, reconnaître cette vérité et en faire la base de notre travail, si nous voulons construire une société juste et équitable.
- Sur l’importance de la vérité et d’assumer sa propre vérité. En tant que psychologues, il est essentiel que nous exprimions et assumions notre propre vérité, et que nous créions un espace sûr et exempt de jugement dans lequel les clients peuvent exprimer et assumer leur propre vérité.
- Le pardon plutôt que le ressentiment. Le pardon est un principe clé dans mon travail de psychologue lorsque je soutiens des clients qui ont été victimes de racisme et de discrimination; c’est particulièrement le cas dans mon travail sur la justice sociale. Je crois que le pardon est l’antidote au ressentiment; c’est prendre soin de soi, avoir de la compassion envers soi-même. C’est l’élément fondamental de la résilience et c’est une première étape nécessaire à la guérison d’un traumatisme.
- La compréhension plutôt que l’ignorance. « Cherchez à comprendre plutôt qu’à être compris. » Voilà une attitude qui favorise l’empathie et l’établissement d’une alliance thérapeutique saine. Comprendre que le déni du racisme est une forme d’ignorance et qu’il induit des traumatismes est essentiel pour tout travail auprès des clients victimes de racisme ou de discrimination.
- L’humilité plutôt que l’arrogance. Reconnaître nos limites en tant que psychologue est une forme d’humilité. Le déni du racisme est une forme d’arrogance. Il est essentiel que nous comprenions l’importance d’interagir avec nos clients avec humilité et de renoncer à l’arrogance, afin de créer des alliances thérapeutiques saines et de soutenir efficacement nos clients.
- La souplesse plutôt que la rigidité. En tant que psychologue, il est important de savoir qu’une approche souple est un aspect important d’une thérapie efficace.
- L’action plutôt que l’apathie. En tant que psychologues, nous devons reconnaître le rôle actif important que nous jouons dans la création de sociétés saines, en particulier en ce qui concerne la défense des intérêts des clients et de la société en général. L’apathie peut être considérée comme synonyme d’incompétence et de conduite contraire à l’éthique.
- La résilience plutôt que la résignation. La résilience est un élément clé de la santé et de l’épanouissement des individus et des sociétés. C’est la pierre angulaire du travail que j’accomplis auprès de mes clients.
- Le courage plutôt que la lâcheté. En tant que psychologues, nous devons avoir le courage de changer les choses que nous pouvons changer, de défendre nos clients, de lutter contre l’injustice, de faire pression pour obtenir des changements et de mener des recherches qui permettent à la science de progresser.
- L’équité plutôt que l’injustice. Les psychologues ont un rôle essentiel à jouer dans la justice sociale. Toute justice sociale repose sur la prémisse de l’équité et de la création de l’équité dans la société.
- La gentillesse plutôt que la cruauté. Le regard positif inconditionnel est la base de notre travail en tant que psychologues. Reconnaître que le racisme et le déni du racisme sont des traumatismes est une forme de gentillesse. Le déni du racisme est cruel et traumatisant.
- À propos d’« Ubuntu », qui signifie humanité ou bonté humaine, les liens qui unissent l’esprit humain. Selon cette philosophie, c’est la société, et non un être transcendant, qui confère aux êtres humains leur humanité. C’est la reconnaissance du fait que nous sommes tous liés d’une manière invisible à l’œil humain. Pour paraphraser Michael Eze, nous sommes parce que vous êtes, et puisque vous êtes, je suis. L’humanité est une qualité que nous nous devons les uns aux autres. Nous nous créons les uns les autres et nous avons besoin de soutenir cette création d’altérité. Barack Obama a déclaré : « Il y a un sentiment d’unité dans l’humanité que nous atteignons nous-mêmes en nous offrant aux autres et en prenant soin de ceux qui nous entourent… » Mon travail est imprégné de la notion d’Ubuntu, car je reconnais que nous avons tous besoin les uns des autres et que la somme est plus grande que les parties. Nous avons tous un rôle à jouer dans l’éradication de l’injustice, que ce soit en tant que défenseurs ou en tant qu’alliés.
- De me mettre au défi de trouver cette vérité en moi-même, de définir mes valeurs, mes croyances et mon identité dans le contexte de la grande fraternité et de la grande sororité de l’humanité.
- De toujours me rappeler la générosité de l’esprit humain.
- D’interagir avec les gens à un niveau humain – en tant qu’êtres humains d’abord.
- De comprendre mon frère et ma sœur avant de les juger.
- D’appréhender la vie avec empathie.
- De trouver des occasions de prendre soin des autres.
- D’accepter la responsabilité de ma vie et de mes actes.
Tata Madiba citait souvent le poème Invictus : « Aussi étroit que soit le chemin, bien qu’on m’accuse et qu’on me blâme; je suis le maître de mon destin, le capitaine de mon âme. »
Comme l’a dit Barack Obama : « Tata Madiba me donne envie d’être un meilleur être humain et évoque ce qu’il y a de meilleur en chacun de nous. Le défi pour nous tous est de rechercher cela en nous-mêmes et d’agir à son image ». Défi accepté, Tata Madiba, défi accepté.
Hamba kahle Tata Madiba, Hamba kahle (Adieu Tata Madiba, adieu).
Ndiyakukhumbula (Tu vas me manquer).
Enkosi, Ngiyabonga, (Merci).