Concepts, définitions et mesures
Dans un premier temps, il est utile de réfléchir à ce qu’est la sécurité alimentaire.
Selon l’Organisation des Nations Unies, la sécurité alimentaire existe « lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive pour mener une vie saine et active[i]. »
L’insécurité alimentaire des ménages est l’accès inadéquat ou incertain à la nourriture en raison de contraintes financières[ii]. L’insécurité alimentaire va de marginale à grave.
- On parle d’insécurité alimentaire marginale lorsque les ménages craignent de manquer de nourriture et/ou limitent leur choix d’aliments en raison de leur coût.
- Il y a insécurité alimentaire modérée lorsque les personnes font des compromis sur la qualité et/ou la quantité des aliments consommés en raison de leur coût.
- On parle d’insécurité alimentaire grave lorsque les personnes sautent des repas, réduisent leur consommation d’aliments ou, dans les cas extrêmes, passent une ou plusieurs journées sans manger.
Tendances récentes observées au Canada
- En 2019, 15,6 % des personnes vivant dans les provinces ont été confrontées à une insécurité alimentaire marginale, modérée ou grave[iii]. Parmi elles, 7,9 % étaient en situation d’insécurité alimentaire modérée et 3,6 % en situation d’insécurité alimentaire grave.
- L’insécurité alimentaire est plus importante dans les territoires que dans les provinces. En 2017-2018, près de la moitié (49 %) de tous les ménages du Nunavut ont connu un certain niveau d’insécurité alimentaire, suivis par les Territoires du Nord-Ouest (15,9 %) et le Yukon (12,6 %). Dans les provinces, c’est au Québec que le taux d’insécurité alimentaire est le plus faible (7,4 %) et en Nouvelle-Écosse qu’il est le plus élevé (10,9 %)[iv].
- Bien qu’il ne s’agisse pas d’un indicateur parfait de l’insécurité alimentaire, le recours à de l’aide alimentaire d’urgence peut indiquer que les besoins alimentaires ne sont pas satisfaits. Entre 2019 et 2021, la fréquentation des banques alimentaires au Canada a augmenté de 20,3 %, et en mars 2021, 1,3 million de personnes se sont rendues dans les banques alimentaires[v].
Qui souffre d’insécurité alimentaire?
Si l’insécurité alimentaire peut toucher n’importe qui, certains groupes de la population peuvent être plus exposés que d’autres.
- En 2019, on observait les taux d’insécurité alimentaire les plus bas chez les couples âgés et les plus élevés chez les familles monoparentales dirigées par une femme. Les adultes célibataires et les familles monoparentales présentaient également un taux d’insécurité alimentaire supérieur à la moyenne nationale5.
- Les taux d’insécurité alimentaire sont élevés chez les étudiants de niveau postsecondaire, allant de 42 % en 2017[vi] à 57 % en 2021[vii]. Les étudiants étrangers, les étudiants autochtones, latino-américains et noirs, les étudiants qui s’identifient comme personne LGBTQ2+, ainsi que les étudiants qui vivent dans des conditions de logement précaires, sont plus vulnérables à l’insécurité alimentairevii.
- Les Autochtones, les immigrants récents et les personnes handicapées sont plus susceptibles d’être confrontés à l’insécurité alimentaire; en 2019, le nombre d’Autochtones en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave était plus de deux fois supérieur à celui de l’ensemble de la population5.
- La plupart des ménages en situation d’insécurité alimentaire font partie de la population active et sont susceptibles d’occuper des emplois mal rémunérés et d’avoir des conditions de travail précaires.
- Les ménages qui connaissent l’insécurité alimentaire peuvent être à la fois locataires et propriétaires, bien que le taux d’insécurité alimentaire soit nettement plus élevé chez ceux qui vivent dans des logements locatifs[viii].
Bien qu’il soit utile de comprendre qui est le plus susceptible de souffrir d’insécurité alimentaire, il est important d’éviter de dépeindre les groupes sociaux comme intrinsèquement vulnérables[ix]. Les systèmes sous-jacents qui rendent certaines personnes vulnérables doivent être pris en compte, comme l’héritage de la colonisation, la pauvreté et le racisme systémique. Les personnes confrontées à l’insécurité alimentaire ont des points de vue et des idées importants et devraient être incluses de manière appropriée dans les processus de prise de décision.
Les causes complexes de l’insécurité alimentaire
Niveau de revenu
L’insécurité alimentaire découle essentiellement de la capacité des gens à se procurer la nourriture dont ils ont besoin[x]. Le niveau de revenu a un impact sur l’insécurité alimentaire, y compris les emplois faiblement rémunérés et les conditions de travail précaires. Les prestations d’assurance sociale insuffisantes exposent les ménages, en particulier les ménages d’une seule personne, à un risque élevé d’insécurité alimentaire; en fait, un ménage sur cinq qui bénéficie de prestations gouvernementales est en situation d’insécurité alimentaire grave4.
Coût des autres besoins de base
D’autres facteurs ont une incidence sur la capacité à s’offrir des aliments nutritifs, notamment le coût des autres besoins de base, tels que le logement, qui oblige parfois à faire des compromis entre l’achat de nourriture et le paiement du loyer ou des factures de services publics. L’insécurité alimentaire est la plus forte chez les locataires : 19 % d’entre eux sont en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave, contre seulement 4 % des propriétaires[xi].
Des coûts ou des événements inattendus, tels que des réparations importantes ou une perte d’emploi soudaine, peuvent compromettre la capacité à se procurer de la nourriture.
Le coût de la nourriture elle-même peut également constituer un obstacle, et les récentes augmentations du prix des denrées alimentaires peuvent affecter plus sévèrement les ménages à faible revenu[xii].
Facteurs sociaux
Certains facteurs sociaux, tels que le manque de moyens de transport pour avoir accès à des aliments sains, l’inadéquation culturelle des aliments disponibles et abordables, la difficulté de stocker des aliments sains et le manque de temps pour préparer des aliments sains, peuvent également avoir une incidence sur la sécurité alimentaire.
Les répercussions de l’insécurité alimentaire
L’insécurité alimentaire peut avoir des répercussions négatives sur la santé physique et mentale à long terme des enfants. Elle peut augmenter le risque de maladies telles que la dépression et l’asthme, augmenter le risque d’idées suicidaires et avoir des effets sur la performance scolaire et le développement[xiii].
Les effets de l’insécurité alimentaire se font également sentir chez les adultes; ils sont liés à un état de santé globalement moins bon et à des maladies chroniques (telles que la dépression, le diabète et les maladies cardiaques), et peuvent entraîner des dépenses médicales plus élevées dans la mesure où les pathologies existantes sont difficiles à prendre en charge[xiv].
Dans sa forme extrême, l’insécurité alimentaire est également associée à une mortalité prématurée, la durée de vie moyenne des adultes issus de ménages en situation d’insécurité alimentaire grave étant inférieure de neuf ans à celle des adultes issus de ménages en situation de sécurité alimentaire[xv].
L’insécurité alimentaire a également des conséquences sociales importantes. L’incapacité à fournir une alimentation adéquate peut être associée à des sentiments de honte et à la crainte d’être jugé. Cela peut conduire les gens à se retirer de la vie sociale. En outre, la nourriture est souvent une forme importante de socialisation et le fait de ne pas pouvoir offrir de la nourriture peut entraîner une réduction de la socialisation, en particulier chez les enfants dont les parents n’ont pas les moyens d’offrir de la nourriture à leurs camarades[xvi].
Politiques et bonnes pratiques en matière de lutte contre l’insécurité alimentaire
L’accès à la nourriture est un droit fondamental de la personne. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, dont le Canada est signataire, énonce ce qui suit : « Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence. » Article 11, paragraphe 1. Aborder l’insécurité alimentaire sous l’angle des droits de la personne signifie que l’on comprend qu’il existe « certains droits auxquels chacun peut prétendre, indépendamment de son identité ou de son origine. »[xvii] [traduction] Selon cette conception, le manque de nourriture constitue une violation des droits de la personne et n’est pas simplement dû aux décisions prises par les individus ou à l’inefficacité des politiques et des programmes.
Pour agir sur les causes profondes de l’insécurité alimentaire, il est important de s’attaquer au lien entre le revenu et l’insécurité alimentaire. Cela peut se faire en améliorant les ressources financières des ménages à faibles revenus au moyen d’interventions gouvernementales particulières. Les politiques qui augmentent les salaires et la qualité des emplois réduiront le risque d’insécurité alimentaire chez les personnes qui travaillent. Le renforcement de la protection sociale au Canada par des montants appropriés d’aide au revenu permettrait de garantir que les personnes qui ont besoin d’une aide au revenu ne risquent pas de souffrir d’insécurité alimentaire. En particulier, la mise en place d’une allocation universelle permettrait de résoudre le problème de l’insécurité alimentaire de manière générale, car l’insécurité alimentaire touche une grande diversité de ménages, et une allocation universelle pourrait bénéficier à tous les ménages dont le revenu est insuffisant[xviii].
Le rôle de la psychologie dans la lutte contre l’insécurité alimentaire
La psychologie a un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre l’insécurité alimentaire, au même titre que la pauvreté et l’itinérance, qui sont étroitement liées.
En ce qui concerne les services de santé mentale, malheureusement, de nombreuses personnes en situation d’insécurité alimentaire ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins de base. D’un point de vue économique, les personnes en situation d’insécurité alimentaire sont moins susceptibles d’avoir des revenus suffisants pour payer des services psychologiques privés et sont moins susceptibles de recourir à des services psychologiques. Ainsi, les psychologues peuvent collaborer avec les services locaux d’aide au logement, les refuges, les organismes communautaires et les banques alimentaires – pour n’en citer que quelques-uns – afin d’offrir leurs services à ces personnes en utilisant un barème dégressif ou en le faisant bénévolement. Davantage de psychologues devraient participer à la prestation de services de santé mentale axés sur le client et le rétablissement à l’échelle communautaire.
La psychologie joue également un rôle essentiel dans la défense des intérêts, en particulier en ce qui concerne : 1) la disponibilité des aliments (une source fiable et constante d’aliments de qualité); 2) l’accès aux aliments (les gens ont suffisamment de ressources pour produire et/ou acheter des aliments); 3) la consommation des aliments (les personnes disposent de connaissances suffisantes en matière d’alimentation et de préparation des repas, et des conditions sanitaires de base pour choisir, préparer et distribuer des aliments sains à leur famille); 4) la stabilité (un environnement stable et durable permettant d’accéder à des aliments sains et de les consommer)[xix]. Elle a aussi un rôle à jouer dans la défense des intérêts liés aux déterminants sociaux de la santé, au besoin de logements abordables, au besoin de services de santé mentale et à l’interaction entre la santé mentale et les déterminants sociaux, qui sont souvent associés à l’insécurité alimentaire. En tenant compte des différents niveaux de système, au micro-niveau, la psychologie peut assurer la liaison avec les équipes de soins élargies du client et les organismes communautaires afin de plaider pour la disponibilité, l’accessibilité, la stabilité et la qualité nutritionnelle des sources de nourriture. Au macro-niveau, les psychologues peuvent militer à l’échelle de la collectivité et à un échelon plus large pour des changements de fond, pour le droit à la sécurité alimentaire, l’allocation universelle, le financement de logements abordables et/ou à loyers déterminés en fonction du revenu, l’augmentation de l’aide sociale et l’accès aux services de santé mentale.
Dans le milieu universitaire, la psychologie communautaire devrait être enseignée dans le cadre des cours d’introduction à la psychologie, et davantage d’enseignants et de chercheurs en psychologie communautaire devraient être embauchés.
En ce qui concerne la recherche, la psychologie peut être utilisée pour :
- Comprendre les attitudes et les comportements des personnes en situation d’insécurité alimentaire et à leur égard. On pourrait, notamment, chercher à savoir comment augmenter le soutien et l’action collective face à l’insécurité alimentaire, ainsi que déterminer les interventions possibles, tant individuelles que structurelles.
- Comprendre les réactions sociales à l’insécurité alimentaire qui font obstacle à la résolution de ce problème.
- Évaluer l’efficacité des initiatives en matière de santé publique et de sensibilisation afin de modifier les réactions sociales à la sécurité alimentaire.
- Employer différentes méthodologies et pistes de recherche, notamment en collaborant avec des personnes ayant une expérience vécue de l’insécurité alimentaire et avec des dirigeants autochtones.
- Explorer les différentes composantes de l’insécurité alimentaire et l’incidence qu’elles ont sur les individus de différents horizons.
La psychologie peut également faciliter l’organisation de forums dans lesquels différentes professions et organisations, et différents pionniers de la psychologie et chefs de file de la lutte contre l’insécurité alimentaire, pourraient se réunir pour se livrer à des échanges interdisciplinaires sur les solutions à apporter à l’insécurité alimentaire, puis présenter les résultats obtenus aux organismes gouvernementaux concernés par l’intermédiaire d’activités de représentation concertées.
Pour obtenir de plus amples renseignements
Vous trouverez des informations et des ressources supplémentaires sur l’insécurité alimentaire au Canada en consultant les sources suivantes.
- PROOF (Food Insecurity Policy Research)
- Banques alimentaires Canada
- Les diététistes du Canada
- Centres communautaires d’alimentation du Canada
- Réseau pour une alimentation durable
Pour savoir si une intervention psychologique peut vous aider, consultez un psychologue agréé. Les associations provinciales et territoriales de psychologues, et certaines associations municipales de psychologues offrent des services d’aiguillage. Pour connaître les noms et les coordonnées des associations provinciales et territoriales de psychologues, veuillez vous rendre à l’adresse https://cpa.ca/fr/public/unpsychologue/societesprovinciales/.
La présente fiche d’information a été rédigée pour le compte de la Société canadienne de psychologie par
The Canadian Poverty Institute
Université Ambrose
150, Ambrose Circle SW
Calgary, Alberta T3H 0L5
www.povertyinstitute.ca; povertyinstitute@ambrose.edu
Date : mai 2023
Votre opinion est importante! Si vous avez des questions ou des commentaires sur les fiches d’information de la série « La psychologie peut vous aider », veuillez communiquer avec nous : factsheets@cpa.ca.
Société canadienne de psychologie
141, avenue Laurier Ouest, bureau 702
Ottawa (Ontario) K1P 5J3
Tél. : 613-237-2144
Numéro sans frais (au Canada) : 1-888-472-0657
Références
[i] FAO, FIDA, UNICEF, PAM et OMS, The state of food security and nutrition in the world 2021. Transforming food systems for food security, improved nutrition and affordable healthy diets for all. Rome : FAO 2021
[ii] Tarasuk, V. et Mitchell, A., Household food insecurity in Canada, 2017-18. Toronto : PROOF 2020.
[iii] PROOF Food Insecurity Policy Research, New food insecurity data for 2019 from Statistics Canada. Toronto : PROOF 2022.
[iv] Caron, N. et Plunkett-Latimer, J. Enquête canadienne sur le revenu : insécurité alimentaire et besoins insatisfaits en matière de soins de santé, 2018 et 2019. Statistique Canada, 2022.
[v] Banques alimentaires Canada, Bilan-Faim 2021. Mississauga : Banques alimentaires Canada, 2021.
[vi] Hamilton, Taylor, D., Huisken, A. et Bottorff, J. L. (2020). Correlates of food insecurity among undergraduate students. Canadian Journal of Higher Education, 50(2), 15–23. https://doi.org/10.47678/cjhe.v50i2.188699
[vii] Meal Exchange. (2021). 2021 National Student Food Insecurity Report. Tiré de www.mealexchange.com/resources
[viii] Tarasuk, V. et Mitchell, A., Household food insecurity in Canada, 2017-18. Toronto : PROOF 2020.
[ix] Sauchyn, D., Davidson, D. et Johnston, M, Provinces des Prairies, chapitre 4 dans Le Canada dans un climat en changement : Le rapport sur les Perspectives régionales, gouvernement du Canada : 2020.
[x] Tarasuk, V., Implications of a basic income guarantee for household food insecurity, Thunder Bay : Northern Policy Institute : 2017.
[xi] Statistique Canada L’insécurité alimentaire des ménages au Canada. Ottawa : gouvernement du Canada : 2020.
[xii] Agri-Food Analytics Lab, Canada’s food price report: 2022. Université Dalhousie, Université de Guelph, Université de la Saskatchewan et Université de la Colombie-Britannique : 2022.
[xiii] PROOF. Household food insecurity in Canada. Toronto : Université de Toronto. Accessible [en ligne ] https://proof.utoronto.ca/food-insecurity/. Consulté le 18 mars 2022.
[xiv] Tarasuk, V., Mitchell, A. et Dachner, N., Household food insecurity in Canada, 2014. Toronto : PROOF : 2016.
[xv] PROOF. Ibid.
[xvi] Purdam, K., E. Garratt et A. Esmail. “Hungry? Food Insecurity, Social Stigma and Embarrassment in the UK.” Sociology. Vol. 50, n° 6 : 1072-1088. Décembre 2016
[xvii] Canada Sans Pauvreté, Human rights and poverty reduction strategies. Ottawa : Canada Sans Pauvreté : 2015.
[xviii] Tarasuk, V., Implications of a Basic Income Guarantee for household food insecurity, Thunder Bay : Northern Policy Institute : 2017.