Au Canada, la santé mentale est un problème de santé publique qui inquiète de plus en plus. Un Canadien sur cinq va souffrir d’un problème de santé mentale chaque année. La santé mentale est un problème répandu parmi les Canadiens qui occupent un emploi. Chaque semaine, au moins 500 000 Canadiens s’absentent du travail à cause d’un problème de santé mentale, ce qui représente un coût économique estimé à 51 milliards de dollars par an. Des psychologues organisationnels ont prédit une épidémie de problèmes de santé mentale chez les employés au début de la pandémie mondiale de COVID-19. Selon un sondage national, 8,7 % des personnes qui travaillaient pendant les quatre premiers mois de l’année 2021 ont déclaré souffrir d’un problème de santé mentale. Cette augmentation est significative par rapport au taux de 6,4 % enregistré en 2019. Il est donc urgent pour les psychologues et les organisations de s’attaquer aux problèmes de santé mentale au travail.
Qu’est-ce que la santé mentale?
Il est utile de comprendre comment la santé mentale se conçoit en général, notamment en milieu de travail. La santé mentale n’est pas seulement la présence ou l’absence de maladie, mais fonctionne plutôt comme un continuum. À n’importe quel moment, les individus peuvent avoir une bonne santé mentale (sentiment de satisfaction générale, de bonheur et capacité à travailler pour atteindre ses objectifs et contribuer à la communauté), des problèmes de santé mentale (stress modéré et difficultés d’adaptation, tout en conservant une routine quotidienne de base) ou une maladie mentale (déséquilibre psychologique qu’on peut diagnostiquer, caractérisé par la présence de symptômes qui affectent de façon significative l’humeur, le comportement, les pensées, l’habileté à surmonter les épreuves et le fonctionnement quotidien de la personne)[1].
Les problèmes de santé mentale les plus répandus chez les travailleurs sont notamment la tension mentale et l’épuisement professionnel (voir la note 1). La tension mentale est un état prolongé de détresse et de tension causé par l’exposition chronique à des facteurs de stress extérieurs. De la même façon, l’épuisement professionnel est un état d’épuisement mental et émotionnel dû à un stress prolongé. Un Canadien en âge de travailler sur trois souffrirait d’épuisement professionnel. Les maladies mentales les plus répandues chez les Canadiens en âge de travailler sont la dépression, l’anxiété et les troubles liés à l’usage de substances psychoactives (voir la note 1).
Quel rôle joue le milieu de travail?
Les adultes qui travaillent passent la majorité de leur vie au travail. Le milieu de travail peut être une source de stress pour plusieurs, ce qui mène à des problèmes de santé mentale. Environ 70 % des travailleurs canadiens rapportent que leur travail a des impacts sur leur santé mentale[2]. Voici quelques facteurs de stress liés au travail :
- Les exigences de travail et le contrôle du travail : les preuves montrent que le fait d’avoir un emploi très exigeant tout en ayant peu de contrôle sur les tâches professionnelles et la prise de décisions peut mener à des problèmes de santé mentale[3]. Par exemple, près du tiers des travailleurs canadiens mentionnent que la lourdeur de la charge de travail est une cause de leur stress au travail[4]. Quand les employés ont le sentiment d’avoir peu de contrôle sur la façon dont ils font leur travail, cela peut les amener à se sentir stressés, épuisés et moins satisfaits de leur travail et de leur vie en général.
- L’injustice distributive : la justice organisationnelle, ou la perception individuelle de l’équité en milieu de travail, a des répercussions sur la santé mentale des employés. L’injustice distributive se produit lorsqu’il y a un déséquilibre entre la contribution de l’employé et la récompense qu’il reçoit, et lorsque l’attribution de récompenses ne satisfait pas ses attentes d’équité. Ce type d’injustice est associé à certains aspects de l’épuisement professionnel, comme l’épuisement émotionnel, le cynisme et une baisse du sentiment d’accomplissement personnel[5].
- La conciliation travail-vie personnelle : environ un Canadien qui travaille sur six rapporte que la difficulté à concilier le travail et la vie personnelle est la principale source de leur stress lié au travail (voir la note 4). Cela se produit quand les exigences, les responsabilités professionnelles ou le temps passé au travail ou à la maison font qu’il est difficile d’assumer ses responsabilités dans d’autres domaines de sa vie. La pandémie de COVID-19 a rendu la séparation entre travail et vie de famille encore plus difficile, puisque de nombreuses personnes travaillent désormais à partir de leur domicile.
- Les relations interpersonnelles : la recherche indique que des relations positives et le soutien des responsables et des collègues sont essentiels pour diminuer les effets du stress au travail, ce qui à son tour réduit les symptômes psychologiques qui y sont associés (voir la note 1). À l’inverse, un manque de soutien social et des interactions négatives au travail (p. ex. agressivité, violence et harcèlement) peuvent engendrer un sentiment d’isolement, de la détresse et de la colère (voir la note 1).
- L’ambiguïté des rôles et le conflit de rôles : le stress lié au rôle de chacun est un facteur déterminant du bien-être au travail. L’ambiguïté des rôles et le conflit de rôles sont deux des facteurs de stress que peuvent rencontrer les employés dans leurs fonctions professionnelles. L’ambiguïté des rôles se manifeste lorsque le travailleur ne reçoit pas assez d’informations pour exécuter ses tâches de façon efficace, ce qui le fait douter de ce qu’on attend de lui. Le conflit de rôles apparaît lorsque l’employé reçoit des demandes incompatibles de la part de deux ou plusieurs personnes[6]. Le stress lié au conflit de rôles a été associé à une mauvaise santé mentale en général, à l’épuisement psychologique lié au travail et à l’épuisement professionnel. Il est souvent le résultat d’un manque d’orientation, de rétroaction, d’intervention et de communication de la part des responsables et des supérieurs (voir la note 6).
- La stigmatisation : un milieu de travail qui perpétue des attitudes négatives au sujet de la santé mentale (p. ex. la croyance que les personnes ayant une maladie mentale sont dangereuses ou incompétentes) ou qui a recours à des pratiques organisationnelles qui encouragent la stigmatisation (p. ex. lorsqu’on ne fournit pas de prestations pour les soins psychologiques) peut contribuer à entretenir les problèmes psychologiques (voir la note 1). Près de 70 % des individus souffrant d’une maladie mentale ont déjà été confrontés à des difficultés professionnelles telles que des refus d’entretien, des refus d’emploi, des promotions manquées ou d’autres désavantages en raison de leur état de santé (voir la note 3). Cette stigmatisation, de même que la peur de faire l’objet de discrimination, peut décourager les employés à demander de l’aide quand ils en ont besoin. La stigmatisation publique peut aussi mener à de l’autostigmatisation, c’est-à-dire que l’individu intériorise sa honte à propos de sa santé mentale, ce qui contribue à abaisser son efficacité et son estime personnelle (voir la note 1).
Comment les problèmes de santé mentale se manifestent-ils au travail?
Une mauvaise santé mentale chez les employés est associée à plusieurs changements de comportement qui peuvent avoir des conséquences négatives pour le lieu de travail (voir la note 1) :
- Absentéisme accru et invalidité à long terme;
- Présentéisme accru (travailler malgré un fonctionnement altéré à cause d’une maladie mentale ou physique);
- Intentions accrues de quitter son emploi, son organisation ou sa profession;
- Baisse de la productivité et du rendement au travail;
- Baisse de la satisfaction au travail et de l’engagement envers l’employeur;
- Risque de comportements dangereux au travail (p. ex. erreurs de médication de la part de travailleurs de la santé);
- Conflits interpersonnels accrus avec les collègues;
- Risques accrus de maladies physiques.
Les chercheurs qui s’intéressent au monde du travail et des organisations ont identifié cinq signes auxquels il faut prêter attention lorsqu’on soupçonne qu’un collègue ou un subordonné souffre d’un problème de santé mentale[7] :
- Détresse émotionnelle (p. ex. crier après les autres, pleurer);
- Comportement de retrait social (p. ex. participer moins aux activités sociales ou professionnelles, prendre son dîner seul);
- Changements d’assiduité (p. ex. retard ou absentéisme);
- Changements au niveau des performances (p. ex. diminution de la quantité ou de la qualité du travail);
- Comportements à risque (p. ex. abus de substances psychoactives, mauvaise hygiène, intentions de se faire du mal à soi-même ou aux autres).
Comment les employeurs peuvent-ils soutenir leurs employés?
Les employeurs peuvent aider à résoudre les problèmes de santé mentale au travail de nombreuses façons. Les employeurs devraient prioriser l’élaboration d’une stratégie de santé mentale à l’échelle de l’organisation qui privilégie la prévention des méfaits, la prise en charge des maladies et la promotion de résultats positifs (voir la note 3) :
- Mettre en place une formation en santé mentale pour les dirigeants : les employeurs peuvent mettre en place une formation pour les dirigeants afin de les aider à mieux comprendre la santé des employés et le rôle qu’ils peuvent jouer dans la prévention. Une formation peut aider les dirigeants à identifier les signes de difficultés, à reconnaître les maladies les plus fréquentes et à savoir comment proposer leur aide (p. ex. formation sur la santé mentale au travail, premiers soins en santé mentale; voir la note 1).
- Réduire la stigmatisation à l’égard de la santé mentale : les employeurs peuvent mettre en place des stratégies pour réduire la stigmatisation à l’égard de la santé mentale au travail. Tout d’abord, ils peuvent offrir une formation sur la santé mentale aux employés et une formation aux dirigeants pour les aider à reconnaître les signes de détresse. De plus, ils peuvent mettre en place des stratégies contre les comportements discriminatoires et s’engager à traiter les problèmes de santé mentale avec dignité et respect (p. ex. utiliser un langage non stigmatisant et intégrer la neurodiversité aux programmes de diversité et d’inclusion). D’autre part, les employeurs devraient s’efforcer d’offrir les mêmes avantages pour les maladies mentales que pour les maladies physiques, favorisant ainsi un environnement de travail plus inclusif et positif[8].
- Atténuer les facteurs de stress liés au travail : les employeurs peuvent aider à réduire le stress au travail et les problèmes liés à la conciliation travail-vie personnelle en proposant aux employés plus de contrôle sur leur travail et des aménagements d’horaire plus flexibles, en diminuant les demandes faites aux employés et en améliorant l’accès à du soutien psychologique (voir la note 3).
- Améliorer le processus de retour au travail : les employés qui retournent au travail après un congé de maladie pour des problèmes de santé mentale courants ont souvent du mal à déterminer le moment de leur retour, sont confrontés à des difficultés lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre les plans de retour au travail et risquent de reprendre leurs tâches trop tôt[9]. Les employeurs peuvent donner priorité au processus de retour au travail en investissant dans un accès à des professionnels de la santé mentale pour les employés durant leur congé de maladie et les différentes phases du retour au travail, en créant un plan de retour au travail coordonné, en offrant des aménagements personnalisés et en faisant l’évaluation des capacités des employés qui reprennent le travail (voir la note 3).
Comment la psychologie peut-elle améliorer la santé mentale des employés?
Les psychologues peuvent réaliser des évaluations pour identifier les facteurs de stress potentiels et les facteurs de risque dans le milieu de travail qui sont susceptibles de contribuer à la détresse des employés, y compris dans la culture de l’organisation. Une évaluation des besoins peut aussi être effectuée pour déterminer si les employés souffrent de problèmes de santé mentale, la nature des difficultés auxquelles ils font face et le meilleur plan d’action pour y remédier.
Les psychologues peuvent contribuer à la formation et à la sensibilisation des dirigeants et des employés de l’organisation afin qu’ils adoptent des pratiques qui favorisent la santé mentale (comme des ateliers sur la communication, la résolution de conflits et la gestion du stress) et les aider différencier problèmes de santé mentale et problèmes de rendement. Des formations ciblées sur la santé mentale pour les dirigeants peuvent améliorer leur compréhension, leurs intentions et leur rôle en matière de prévention (voir la note 3).
Les psychologues peuvent faire de la recherche pour aider les employeurs et les employés à mieux comprendre le lien entre leur santé mentale et leur travail, et ils peuvent tester l’efficacité des interventions en milieu de travail.
Finalement, les psychologues peuvent collaborer avec les organisations en les aidant à élaborer des politiques qui favorisent une bonne santé mentale, comme des campagnes pour l’inclusivité et contre la stigmatisation, des aménagements de travail souples et des stratégies de gestion de crise. Les meilleures stratégies permettent de prévenir les préjudices et de favoriser des résultats positifs (voir la note 3). En mettant à profit leur expertise, les psychologues peuvent aider à créer des politiques qui favorisent un environnement de travail positif, qui encourage la compréhension, l’utilisation des ressources et le bien-être en général.
Pour savoir si une intervention psychologique peut vous aider, consultez un psychologue agréé. Les associations provinciales et territoriales, et certaines associations municipales offrent des services d’aiguillage. Pour connaître les noms et les coordonnées des associations provinciales et territoriales de psychologues, veuillez vous rendre à l’adresse https://cpa.ca/fr/public/unpsychologue/societesprovinciales/.
La présente fiche d’information a été préparée pour le compte de la Société canadienne de psychologie par Erin Vine, B. Sc., candidate à la M.A., Université Carleton.
Mise à jour : mars 2024
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[1] Kelloway, E. K., Dimoff, J. K. et Gilbert, S. (2023). Mental health in the workplace. Annual Review of Organizational Psychology and Organizational Behavior, 10, 363–387.
[2] Howatt, B., Bradley, L., Adams, J., Mahajan, S. et Kennedy, S. (sans date.). Howatt, B., Bradley, L., Adams, J., Mahajan, S. et Kennedy, S. (2022). « Comprendre la santé mentale, la maladie mentale et leur incidence en milieu de travail. » Commission de la santé mentale du Canada. https://www.mentalhealthcommission.ca/wp-content/uploads/drupal/2018-07/Monreau_White_Paper_Report_fr.pdf
[3] Centre de toxicomanie et de santé mentale. (2020, 6 janvier). Workplace mental health – A review and recommendations. https://www.camh.ca/-/media/files/workplace-mental-health/workplacementalhealth-a-review-and-recommendations-pdf.pdf
[4] Statistique Canada. (2023). Le stress lié au travail est le plus souvent causé par une lourde charge de travail et la conciliation travail-vie personnelle. https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/230619/dq230619c-fra.htm
[5] Dishon-Berkovits, M. (2018). The role of organizational justice and stress in predicting job burnout. Journal of Career Development, 45(5), 411–424. https://doi.org/10.1177/08948453177054
[6] Barling, J. et Frone, M. R. (2017). If only my leader would just do something! Passive leadership undermines employee well-being through role stressors and psychological resource depletion. Stress and Health, 33(3), 211–222. https://doi.org/10.1002/smi.2697
[7] Dimoff, J. K. et Kelloway, E. K. (2019). Signs of Struggle (SOS): The development and validation of a behavioural mental health checklist for the workplace. Work & Stress, 33(3), 295–313. https://doi.org/10.1080/02678373.2018.1503359
[8] Coe, E., Cordina, J., Enomoto, K. et Seshan, N. (2021). Overcoming stigma: Three strategies toward better mental health in the workplace. The McKinsey Quarterly. https://www2.mvcc.edu/shn/renew/pdf/Overcoming%20stigma.pdf
[9] Andersen, M. F., Nielsen, K. M. et Brinkmann, S. (2012). Meta-synthesis of qualitative research on return to work among employees with common mental disorders. Scandinavian Journal of Work, Environment & Health, 93–104. https://doi.org/10.5271/sjweh.3257